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Quelle justice climatique choisir pour les politiques de transition ?

Dans cette note, nous examinons des politiques emblématiques de la stratégie française et européenne de transition climatique à la lumière d’une littérature peu invoquée dans le débat public : celle sur la philosophie de la justice. Cette analyse permet d’aller un cran plus loin dans la compréhension des problèmes actuels d’acceptabilité de la transition, dans un contexte où, au niveau européen, le European Green Deal est en train d’être détricoté et, au niveau français, la mention de l’écologie punitive est toujours plus prégnante dans les discours politiques.

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Notre méthodologie s’appuie sur le croisement d’exemples concrets et de paramètres philosophiques identifiés à l’aide des travaux académiques sur la justice. Nous avons tout d’abord sélectionné huit grandes politiques, qui suivent des logiques très hétérogènes : les budgets carbone égalitaires, la politique de quotas gratuits (ETS1), les nouveaux systèmes d’échange de quotas (ETS2), le financement de digues anti-submersion par leurs bénéficiaires, le bonus écologique sur l’achat d’un véhicule propre, Ma Prime Renov’, les politiques de premiers mètres cubes d’eau gratuits, et enfin la compensation par les assurances privées des dommages très élevés lors des incendies à Los Angeles.

Nous avons ensuite montré qu’aucune de ces politiques ne suit les mêmes paramètres philosophiques, ce qui explique qu’elles ne soient pas perçues de façon identique par la population. Tout d’abord, elles ne prennent pas en compte de la même manière la capacité des individus à transformer leurs comportements pour participer à la transition. Certaines tiennent compte de la capacité financière, d’autres plutôt de la capacité matérielle ou symbolique. Certaines ne considèrent même aucunement les capacités des agents. Ensuite, la manière d’appréhender l’acte écologique varie en fonction des politiques : celui-ci peut être considéré comme une simple transaction, comme un acte personnel dont l’intention doit être récompensée, comme une responsabilité collective ou, au contraire, individuelle. Enfin, les objectifs priorisés varient. Certains, comme la taxe carbone, se concentrent sur l’efficacité ; d’autres font appel à divers principes distributionnels : égalité, équité, besoins, mérite, réparation ou encore préservation de droits précédemment acquis.

Dans la dernière partie, nous formulons des recommandations pour les décideurs en nous appuyant sur cette analyse. Nous jugeons tout d’abord qu’il ne faut pas faire d’un outil de politique économique unique un totem pour la transition, au risque de souffrir d’effets de second tour qui finiront par le rendre caduc en raison de problèmes d’acceptabilité. Ensuite, nous soulignons que les principes de justice climatique doivent être combinés afin de construire un mix politique acceptable, tant entre les outils (en mêlant ceux qui privilégient l’efficacité et ceux qui se fondent sur des principes distributionnels) qu’au sein d’un même outil, en le paramétrant pour qu’il soit davantage accepté (comme certaines propositions qui portent sur la taxe carbone). Enfin, nous rappelons qu’il est essentiel de réfléchir démocratiquement à la manière dont nous construisons nos politiques climatiques, en tenant compte des intuitions philosophiques hétérogènes des citoyens.

Clara Leonard et Mathilde Viennot

Image : Tullio Crali, Le forze della curva, 102 x 71 cm, huile sur carton, 1930. Musée d’Art moderne et contemporain de Trente et Rovereto.

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