Les politiques industrielles sont de nouveau au cœur des débats économiques, et les implications ne sont pas des moindres : ces politiques définissent de nouveau les règles du jeu économique et stratégique. En effet, elles ne se limitent plus à la protection des industries locales, mais elles se font aujourd’hui dans le contexte d’une compétition économique croissante entre les grandes puissances. Le Graphique 1 met en lumière la part croissante des interventions de politique industrielle dans les mesures influençant le commerce international.
Graphique 1 – Part des interventions de politique industrielle dans l’ensemble des interventions impactant le commerce international
Source : Juhász et al. (2024) [1].
Les États-Unis, l’Union européenne (UE) et la Chine, sont engagés dans une bataille pour l’âme de la politique industrielle, chacun adoptant des approches différentes. Alors que les États-Unis visent la primauté technologique pour réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine et rester dominant, l’UE cherche la sécurité en mettant l’accent sur la prudence budgétaire, l’accès aux matières premières, la lutte contre le changement climatique et la préservation du cadre multilatéral (voir notre note sur le sujet) et la Chine, la construction d’une « civilisation écologique » [2] assurant l’harmonie entre l’enrichissement du peuple chinois et le respect de la nature. Mais ce retour de la politique industrielle n’est pas sans embuches. En Europe, nous devons éviter de tomber dans les pièges du nationalisme économique, c’est-à-dire risquer une course aux subventions entre les États membres qui serait destructrice pour l’intégrité économique de la zone.
Nous proposons ainsi la grille de lecture suivante : les politiques industrielles sont les politiques qui ont pour but conscient de changer la structure de nos économies pour atteindre certains objectifs publics. Définir une stratégie industrielle implique donc de définir les objectifs de politique économique que l’on souhaite réaliser et d’avoir une vision des évolutions structurelles que l’on voudrait impulser à l’économie européenne à long terme, c’est-à-dire avoir une stratégie industrielle européenne.
Cette note vise à proposer des objectifs et des principes fondamentaux qui pourraient guider la stratégie industrielle européenne. Nous identifions trois priorités :
- Une focalisation claire sur la transition climatique, motivée par le coût substantiel du changement climatique et la nécessité d’une politique industrielle verte pour mener à bien la transition ;
- La mise en place d’une politique volontariste à l’échelle européenne du fait de la taille du marché unique et des avantages liés à une spécialisation plus forte des États membres ;
- Le développement d’une gouvernance solide, souvent manquante dans les pays européens, qui doit aller de pair avec une pensée des co-bénéfices (emploi, biens publics, sécurité économique, etc.) qui doivent accompagner les politiques industrielles.
Définition et objectifs de la politique industrielle
Définition
La politique industrielle est en pleine crise d’identité. Dans un contexte où l’on pensait le développement comme passant nécessairement par la transformation de sociétés agricoles en sociétés manufacturières produisant de plus en plus de valeur ajoutée, elle a souvent été assimilée aux interventions étatiques permettant le développement de l’industrie lourde. Mais à l’heure de la planification écologique, et quand le développement ne passe plus forcément par la construction de capacités manufacturières, une définition plus large de la politique industrielle doit être pensée afin de mieux prendre en compte la diversité de ses objectifs et moyens.
Les nouvelles définitions qui commencent à émerger ont pris cela en compte. Pour le FMI (2024) [3] par exemple, les politiques industrielles sont « des interventions ciblées visant à supporter des entreprises ou secteurs spécifiques pour atteindre certains objectifs nationaux ». Pour Juhász et al. (2024) [4], les politiques industrielles sont « les politiques gouvernementales qui cherchent explicitement à transformer la structure de l’économie pour atteindre un but public précédemment défini ». Ces définitions brouillent la frontière entre les politiques industrielles verticales et horizontales, du fait que même les politiques dites horizontales ont pour effet d’influer sur la façon dont les investissements des entreprises sont réalisés et de modifier la structure de l’économie.
Dans cet article, nous nous inscrivons dans cette même lignée, en rapprochant toutefois plus franchement les politiques industrielles des politiques de développement : les politiques industrielles sont les politiques ayant pour but explicite la modification des avantages comparatifs actuels de l’économie pour construire certains biens publics. Cette définition, inspirée par la discussion éclairante entre Ha Joon-Chang et Justin Lin dans la Development Policy Review [5], implique un coût (financier, social, politiques, etc.) à court terme en écartant l’économie des activités maximisant sa consommation étant donné ses dotations actuelles. Mais celui-ci est la contrepartie de la construction de capacités permettant de maximiser sa prospérité future (comprise dans un sens large, c’est-à-dire pas seulement la consommation future) étant donné ses dotations et en cohérence avec les objectifs poursuivis. Cela signifie aussi qu’on ne peut se passer de mesures pour en limiter et compenser ces coûts. Ces avantages comparatifs n’étant pas connus à l’avance, cette définition implique aussi un tâtonnement walrassien [6] de la part de l’État et la nécessité que celui-ci soit un « entrepreneur » à la manière de Rodrik (2004) [7]. Mais de quels objectifs parlons-nous ?
Objectifs
Le principal objectif de la politique industrielle est de réduire l’écart entre les rendements privés et sociaux (Millot & Rawdanowicz, 2024) [8]. Elle peut alors être motivée par des préoccupations économiques, environnementales, sociales ou sécuritaires comme le montre le Graphique 2 (FMI, 2024) [9]. Bien qu’elles ne puissent être complètement séparées les unes des autres, la politique industrielle vise dans tous les cas à transformer l’économie pour lui faire atteindre un équilibre plus souhaitable.
Graphique 2 – Les objectifs possibles de la politique industrielle
Source : Illustration des auteurs.
Les objectifs économiques : sur le plan économique, la politique industrielle peut soutenir la croissance et le développement économique. Elle le fait en promouvant l’innovation et la productivité. Si les entreprises privées ne parviennent pas à rentabiliser entièrement leurs investissements dans l’innovation, les interventions politiques peuvent contribuer à en tirer tous les bénéfices sociaux. Au-delà de la promotion des technologies de pointe, la diffusion des technologies existantes est également cruciale pour stimuler la productivité. En outre, l’abaissement du coût relatif et l’augmentation de la part de marché d’un secteur par rapport à d’autres pays, par exemple au moyen de subventions, peuvent constituer un motif de politique industrielle pour renforcer la compétitivité de l’économie.
Les objectifs environnementaux : ces initiatives économiques recoupent souvent des objectifs environnementaux, la promotion de l’innovation pouvant par exemple être orientée vers les technologies vertes. La politique industrielle peut contribuer à transférer les ressources des secteurs « bruns » vers les secteurs « verts » et donc accélérer la transition climatique vers une économie à faible émission de carbone. Au-delà de la réduction des émissions, d’autres objectifs environnementaux, tels que la biodiversité ou la qualité de l’air, peuvent être soutenus par des politiques industrielles.
Les objectifs sociaux : sur le plan social, la politique industrielle peut être motivée par l’augmentation de la quantité d’emplois. Le gouvernement peut inciter les entreprises à s’installer dans le pays ou à ne pas délocaliser. L’industrie manufacturière peut jouer un rôle particulièrement important dans les régions moins densément peuplées, qui ont peu de possibilités de développer un secteur des services florissant (Vicard, 2024) [10]. En outre, les interventions politiques peuvent être ciblées sur la qualité d’emplois. Elles peuvent viser à accroître l’offre des emplois assortis de bonnes conditions de travail (Rodrik & Stantcheva, 2021) [11], [12] ou à en faciliter l’accès aux groupes défavorisés (Millot & Rawdanowicz, 2024) [13]. La réduction des disparités régionales est un autre motif d’intervention de la politique industrielle, justifié par des défaillances localisées du marché telles que les effets d’agglomération ou par des considérations d’équité (Juhász et al., 2024) [14].
Les objectifs de sécurité : les préoccupations en matière de sécurité peuvent aussi encourager l’action en matière de politique industrielle. La sécurité militaire motive souvent des politiques soutenant la production ou le développement de fournitures militaires. Par exemple, le projet Eurofighter Typhoon, une collaboration entre l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. Outre la sécurité militaire, des préoccupations géopolitiques plus larges peuvent motiver des actions telles que l’imposition d’interdictions d’exportation ou d’importation à l’encontre de régimes autocratiques, comme l’illustrent les récentes sanctions prises par l’UE contre la Biélorussie. Enfin, les politiques industrielles peuvent viser à améliorer la résilience des chaînes d’approvisionnement, en garantissant la stabilité et la sécurité des approvisionnements locaux, mais aussi limiter l’exposition à des actions de coercion du côté des exportations en évitant la dépendance à certains marchés spécifiques.
Quelle direction doit emprunter la politique industrielle en France et en Europe ?
Face à cette multiplicité d’objectifs, il est important de reconnaître qu’ils ne justifient pas tous une intervention de la même manière. L’efficacité des politiques industrielles peut varier, ce qui nécessite une approche prudente et stratégique, mais aussi de privilégier certains objectifs par rapport à d’autres.
Les ressources étant limitées et toutes les initiatives ne pouvant être poursuivies simultanément (Juhász & Lane, 2024) [15] ; une cohérence stratégique et une hiérarchisation des objectifs sont nécessaires, sans oublier que même si un objectif est priorisé, plusieurs peuvent être parfois complémentaires. Par conséquent, veiller à ce que les interventions publiques soient ciblées et efficaces dans la poursuite d’objectifs stratégiques nationaux ou européens démocratiquement définis est un impératif politique important. Une stratégie industrielle globale doit tout de même prendre en compte les complémentarités entre les différents objectifs comme le souligne un rapport de l’OCDE (2022) [16].
Une hiérarchisation des objectifs étant essentielle, nous devons nous poser les questions suivantes : à quoi doit ressembler notre économie demain ? Quelle peut être l’efficacité de la politique industrielle pour atteindre ces objectifs ?
Nous soutenons qu’il existe des arguments convaincants pour faire de la transition climatique un guide nécessaire pour notre stratégie industrielle. Le coût économique du changement climatique sera considérable. Les estimations les plus prudentes de la littérature font état d’une perte du PIB mondial entre 1 % et 3 % d’ici 2050 dans un scénario de statu quo (voir par exemple Newell et al. (2021) [17] et Nath et al. (2023) [18]). Toutefois, les tendances sont encore plus négatives dans la seconde moitié du siècle, comme le montre Burke et al. (2015) [19], qui estiment que les pertes mondiales augmenteront largement au-delà de 20 % du PIB en 2100. Des études récentes trouvent des pertes nettement plus élevées. Une réévaluation de la méthodologie de Burke et al. a montré qu’un réchauffement de 2,2 °C d’ici 2050 pourrait réduire le PIB mondial de 20 % (Oxford Economics, 2022) [20]. En outre, une étude de Bilal & Känzig (2024) [21] conclut qu’une augmentation de 1 °C de la température mondiale entraîne une baisse de 12 % du PIB mondial. Par conséquent, si aucun effort supplémentaire n’est pris, la perte de bien-être sera de 31 % du PIB mondial en 2050 et de 52 % en 2100. En termes de décarbonisation, un rapport de l’Institut Avant-garde estime que la dette climatique de la France, c’est-à-dire le coût cumulé de notre retard à limiter le réchauffement climatique, serait de 61 % du PIB en 2050 (Batut et al., 2024) [22].
Au vu de ces conséquences économiques fondamentales du changement climatique, qui ne prennent même pas en compte les effets distributifs ou l’impact des mouvements migratoires de masse, il doit s’agir d’une priorité de l’action publique.
Mais est-ce que la politique industrielle est un outil efficace pour opérer cette transition ? Nous le pensons, et ce pour plusieurs raisons :
- Tout d’abord, l’émission de carbone présente des rendements privés concentrés, mais des coûts sociaux largement diffus, ce qui entraîne une importante défaillance du marché en raison d’un écart important entre les rendements privés et sociaux. La meilleure réponse purement économique serait une solution pigouvienne ou coasienne qui rétablirait le prix social du carbone, tels une taxe carbone ou un marché du carbone. Toutefois, l’introduction d’une taxe carbone est extrêmement coûteuse sur le plan politique (voir par exemple Fairbrother et al. (2019) [23] ou Furceri et al. (2023) [24]). Même si des mécanismes de tarification du carbone sont mis en œuvre, nous observons que leur prix reste faible. Par exemple, le prix du SEQE, qui couvre environ 40 % des émissions de l’UE, était de 70 € par tonne de CO2 en juin 2024 [25]. Pourtant, une étude récente suggère que le prix du carbone dans le SEQE devrait se situer entre 130 et 286 euros pour atteindre les objectifs d’émission de l’UE pour 2030 (Abrell et al., 2024) [26]. Pour la France, le rapport Quinet (2019) [27] teste différentes modélisations économiques et trouve que le prix du carbone optimal serait de 250 € en 2030 pour toutes les émissions du pays (pas seulement celles couvertes par le SEQE) si nous souhaitons atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Par ailleurs, même des prévisions récemment révisées à la hausse prévoient un prix du SEQE de seulement 147 euros en 2030, bien en dessous du prix économiquement nécessaire (BloombergNEF, 2024) [28].
Du point de vue de l’économie politique, Juhász & Lane (2024) [29] ajoutent que si l’efficacité économique est importante, un complément à la tarification pigouvienne est nécessaire pour en assurer la faisabilité politique. Alors que les avantages de la tarification du carbone sont évidents, mais diffus et réalisés dans le futur, les coûts sont immédiats et concentrés, ce qui crée un défi politique, car la tarification carbone a alors un impact à la fois sur les consommateurs et les producteurs au-delà des lignes économiques et politiques traditionnelles. Le Graphique 3 montre par exemple l’hétérogénéité des émissions de CO2 au sein des déciles de revenus en France et révèle que l’on ne peut se contenter de concentrer nos efforts en fonction du revenu. Les politiques industrielles vertes pourraient alors compléter une tarification du carbone future en aidant à relâcher les contraintes politiques et en facilitant des réformes climatiques à plus grande échelle.
Graphique 3 – Distribution des émissions de GES par ménage en fonction de leur décile de niveau de vie
Source : ADEME (2019) [30].
- En dehors du prix inadéquat du carbone, le nécessaire soutien à l’innovation de décarbonation est un autre motif justifiant une politique industrielle verte. Pour parvenir à zéro émission nette d’ici 2050, l’Agence internationale de l’énergie (2023) [31] estime que 35 % des réductions d’émissions nécessaires dans le secteur de l’énergie doivent provenir de technologies qui sont encore en cours de développement et qui ne sont pas encore commercialisées. Cette innovation nécessaire dans les technologies vertes est exposée à une deuxième sorte de défaillances du marché en raison de leur nouveauté et des risques élevés qu’elles impliquent pour leurs financeurs (Rodrik, 2014). Certaines retombées positives de ces innovations, telles que les externalités interentreprises, l’apprentissage à l’échelle du secteur, le développement du capital humain ou les effets d’agglomération, ne sont pas entièrement pris en compte par les investisseurs. La politique industrielle peut contribuer à tempérer le sous-investissement privé en encourageant l’innovation dans les technologies vertes. De plus en plus d’économistes plaident pour une approche multioutils de la politique climatique. Par exemple, Acemoglu et al. (2016) [32] avancent que la politique optimale allie une taxe carbone et d’importantes subventions à la recherche verte. Dans le même ordre d’idées, Blanchard et al. (2023) [33] préconisent d’inclure le soutien à la R&D verte et les subventions ciblées dans la boîte à outils de la politique climatique.
- En outre, comme le souligne Rodrik (2014) [34], la concurrence internationale constitue une troisième motivation pour la politique industrielle verte. Généralement, l’accent mis sur l’obtention d’un avantage concurrentiel national a des implications globales ambiguës ou négatives, telles que le transfert de rentes des producteurs étrangers et des consommateurs nationaux vers des producteurs nationaux moins productifs. Toutefois, les efforts nationaux visant à stimuler les industries vertes nationales dans le cadre d’une compétition entre les grandes puissances peuvent contrecarrer les défaillances du marché susmentionnées, à savoir le prix inadéquat du carbone et le sous-investissement dans la recherche et le développement qui conduisent à un sous-investissement au niveau global, à condition qu’ils ne restreignent pas les acteurs du marché étranger. La politique industrielle verte peut constituer une solution au « problème du passager clandestin » où certains pays profitent des efforts des autres sans contribuer eux-mêmes à limiter le réchauffement climatique. En encourageant une compétition saine autour des technologies vertes, elle peut inciter les pays à participer activement à la lutte contre le changement climatique.
Le coût substantiel du changement climatique et les arguments théoriques forts en faveur d’une politique industrielle verte devraient en faire l’objectif prioritaire, même si celui-ci pourrait permettre de réaliser à terme d’autres objectifs. La lutte contre le réchauffement climatique doit faire partie d’une stratégie cohérente pour s’assurer qu’elle s’aligne sur des co-bénéfices économiques et sociaux. Par ailleurs, la politique industrielle n’est pas toujours la meilleure solution et ne doit pas être surinvestie. Les politiques industrielles vertes doivent notamment être complétées par des politiques sociales et sur le marché du travail, qui auraient pour but d’atténuer l’impact de la transition climatique sur certains travailleurs et certaines régions. De même, des réformes du système éducatif pourraient exposer davantage les gens à l’innovation et au progrès technologique, renforçant ainsi les politiques d’innovation industrielle verte (Jaravel, 2023) [35].
Mise en œuvre
Nous nous intéressons maintenant à la manière dont les politiques industrielles ainsi orientées devraient être mises en œuvre afin d’être efficaces. Deux aspects, examinés ci-après, sont particulièrement pertinents : l’échelle et la gouvernance.
Trouver la bonne échelle : la nécessité d’une coordination au niveau de l’UE
Une stratégie industrielle européenne invite d’abord à changer d’échelle pour gagner en efficacité. Depuis le lancement du premier Projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) en 2018, le contrôle des aides d’État nationales a été progressivement assoupli en Europe. En 2022, l’« encadrement temporaire de crise » destiné à soutenir l’économie dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été adopté et la Commission a approuvé plus de 650 milliards d’euros d’aides d’État nationales la même année. L’Allemagne et la France ont représenté à elles seules 77 % de ces aides, alors que ces deux pays ne représentent qu’environ 40 % de la production économique de l’UE (Commission européenne, 2023) [36]. Le fait de s’appuyer sur des aides nationales signifie que seule la taille d’un pays détermine son engagement dans la politique industrielle, ce qui peut conduire à la fragmentation des efforts. Pourtant, la taille du marché, les économies d’échelle pouvant être réalisées, l’avantage que peut apporter une certaine spécialisation et la nécessité d’une coordination sont des arguments importants en faveur du passage d’une échelle nationale à une échelle européenne dans certains cas.
Premièrement, le marché européen réunit environ 450 millions de consommateurs. Les entreprises européennes ont ainsi la possibilité de servir une vaste clientèle, ce qui doit nous pousser à chercher à réduire le plus possible les barrières restantes sur ce marché. La taille du marché est également un facteur déterminant de l’innovation dans les secteurs de haute technologie, car les jeunes entreprises peuvent compenser leurs investissements initiaux en touchant davantage de clients (Jaravel, 2023) [37]. La taille du marché joue un rôle dans la mise à l’échelle et la diffusion de l’innovation. Le rapport d’Enrico Letta (2024) [38] sur le marché unique considère que les barrières nationales sont des obstacles à la performance des entreprises européennes par rapport aux États-Unis et à la Chine dans les secteurs où le marché unique est moins complet. En conséquence, il existe un « scale-up gap » dans l’UE, car de nombreuses start-ups se délocalisent, par exemple aux États-Unis, où elles peuvent exploiter un marché plus vaste et homogène (Commission européenne, 2021) [39].
Deuxièmement, certains investissements ne sont pas entrepris au niveau national parce qu’ils ne sont rentables qu’à une certaine échelle. Lorsque les industries opèrent à plus grande échelle, elles peuvent bénéficier de coûts unitaires inférieurs grâce à une utilisation plus efficace des ressources, à des achats groupés de matériaux et à des processus de production optimisés. Cela est particulièrement important dans les industries de technologies de pointe et à forte intensité de capital, qui sont essentielles pour la transition climatique, en raison de leurs coûts d’investissement initiaux importants. La politique industrielle de l’UE peut permettre de telles économies d’échelle en soutenant la croissance des entreprises de taille européenne. Le projet Airbus en est un bon exemple : la collaboration entre plusieurs pays de l’UE pour mettre en commun les ressources et l’expertise à une échelle a permis son succès. Il existe toutefois encore de nombreuses barrières empêchant ce passage à l’échelle européenne, elles ont été notamment mises en valeur dans le récent Rapport Draghi [40].
Troisièmement, une politique industrielle au niveau de l’UE peut tirer le meilleur parti de la spécialisation entre États membres. Les pays peuvent se concentrer sur les secteurs dans lesquels ils disposent d’un avantage comparatif, ce qui permet une répartition plus efficace des ressources dans l’ensemble de l’UE. Par exemple, l’UE n’a pas besoin de 27 industries de semi-conducteurs autosuffisantes, mais plutôt d’un approvisionnement sécurisé commun. Pourtant, à l’heure actuelle, tous les États semblent souhaiter attirer une nouvelle usine de semi-conducteurs à l’intérieur de ses propres frontières. Une stratégie industrielle européenne permettrait également de rendre cette spécialisation plus acceptable politiquement parlant si par exemple les possibles perdants de celle-ci peuvent être compensés d’une autre façon (Krahé, 2024) [41]. Mais ceci sera difficile sans intégration fiscale : une politique industrielle implique un certain ciblage par secteur ou région, c’est-à-dire des effets redistributifs forts. Ils ne pourront être acceptables qu’avec une redistribution équivalente, et donc des ressources propres au niveau européen, comme le proposent par exemple Olimpia Fontana et Simone Vannuccini [42].
Enfin, les États membres sont confrontés à des défis, tels que la transition écologique et la résilience des chaînes d’approvisionnement, qu’il est plus efficace de relever conjointement. La coordination au sein de l’UE est essentielle pour éviter les inefficacités dues aux courses aux subventions intra-UE ou à la fragmentation. Un récent document de travail du FMI, Evenett et al. (2024) [43], montre qu’aujourd’hui, l’UE succombe largement à une telle dynamique. Par exemple, si la Chine introduit une nouvelle subvention, l’UE et les États-Unis répondront par une subvention sur la même catégorie de produits dans les 12 mois avec une probabilité de 93 % et 82 %, respectivement (Graphique 4). Une voix unie permettrait à l’UE de négocier et de défendre ses intérêts plus efficacement sur la scène mondiale qu’avec des actions de représailles, qui réduisent considérablement l’efficacité des mesures de politique industrielle.
Graphique 4 – Probabilité de réponse à une subvention après 12 mois
Source : Evenett et al. (2024) [44], mis en forme par les auteurs.
Gouvernance : développer les capacités et les structures adéquates
Une gouvernance efficace est essentielle et implique des changements concrets dans la façon dont nous mettons en place les politiques industrielles en Europe. Les États souhaitant mettre en place une politique industrielle font face aux défis suivants [45] :
- Manque d’information : les gouvernements disposent d’informations limitées. Bien que les défaillances du marché soient courantes, dans le monde réel, les gouvernements n’ont généralement pas les connaissances nécessaires pour les corriger correctement.
- Capture d’intérêts : même si les gouvernements disposent ou pourraient obtenir les informations nécessaires, la politique industrielle expose l’État à un lobbying en faveur d’intérêts privés plutôt que de la société dans son ensemble.
- Coût d’opportunité des fonds publics : les fonds publics sont limités et leur utilisation pour des politiques industrielles peut être inefficace.
Comment y répondre ? Retour sur quelques idées pour améliorer la gouvernance européenne de politique industrielle.
Répondre au manque d’information
S’il est vrai que les gouvernements ne disposent pas de toutes les informations nécessaires, il est également vrai que le secteur privé n’en dispose pas non plus. Les différentes pièces du puzzle sont souvent disséminées entre de nombreuses personnes et organisations. Les États et administrations peuvent jouer un rôle crucial en rassemblant ces personnes, en encourageant la collaboration entre le secteur privé, les institutions publiques et les communautés scientifiques. Les politiques de mission sont un exemple d’approche qui pourrait faciliter la diffusion de l’information [46]. L’État joue un rôle d’entrepreneur en promouvant explicitement la raison d’être de la mission et en garantissant l’accès aux connaissances techniques et commerciales nécessaires. Une vision politique claire des dépenses et des enjeux peut favoriser un engagement plus large et plus inclusif des parties prenantes (Bloom et al., 2019) [47], ce qui, à son tour, est un facteur déterminant de son impact final (Mazzucato, 2018) [48].
Un tel rôle de l’État nécessite la mise en place de nouvelles capacités au sein de l’administration et dans ce cas dans l’administration européenne et notamment la DG GROW et la partie investissement de la DG ECFIN. L’administration doit développer une capacité d’exploration moins réfractaire au risque et capable d’accueillir l’incertitude (Mazzucato, 2018) [49]. Le manque de capacité de l’État est une contrainte essentielle dans la mise en œuvre de la politique industrielle (Juhász & Lane, 2024) [50]. Cela s’applique particulièrement au niveau européen, car les compétences se situent principalement au niveau national et qu’il y a au niveau européen un manque de coordination, car les différentes facettes de la politique industrielle sont réparties dans différentes directions générales.
Prévenir la capture d’intérêts
Pour atténuer le risque de capture des politiques par des intérêts privés, des garde-fous solides doivent exister. Aucune entité ne pouvant parfaitement sélectionner les gagnants d’une politique donnée, il est donc plus important de savoir quand laisser partir les perdants et corriger le tir après coup. Il s’agit là de décisions essentielles pour minimiser les coûts et le risque de capture politique des politiques industrielles. Cela nécessite une culture qui considère les échecs des projets individuels comme une part naturelle de l’intervention publique (Rodrik, 2014) [51].
Les clauses d’extinction automatique (sunset clauses) sont un outil prometteur pour limiter la capture d’intérêts (Millot & Rawdanowicz, 2024) [52]. Ces clauses exigent la mise en place d’une évaluation active à partir de critère d’évaluation ex-ante clair. Si les objectifs ne sont pas atteints, la prolongation du soutien ne devrait pas être accordée. Elles pourraient alors renforcer le suivi des objectifs de la politique industrielle et la responsabilité des décideurs.
L’utilisation de conditionnalités peut également contribuer à discipliner les acteurs et s’assurer que la politique à des cobénéfices assurant leur faisabilité politique. Ces « bâtons » garantissent que le soutien est subordonné au respect de critères d’intérêt public spécifiques. Les conditionnalités peuvent être considérées comme un accord entre le secteur privé et le secteur public (Mazzucato & Rodrik, 2023) [53] et permettent de s’assurer que l’argent public n’est pas utilisé sans contrepartie et en maximisant les cobénéfices potentiels préalablement identifiés. Par exemple, le sauvetage d’Air France par le gouvernement comprenait des conditions relatives à la réduction des émissions de CO2, ce qui permet d’aligner les actions des entreprises sur des objectifs environnementaux plus larges (Meckling, 2021) [54]. Une stratégie industrielle européenne appelle donc naturellement à une systématisation des plans d’évaluation ex-post des politiques mises en place au niveau européen en les associant à des clauses d’extinction pour s’assurer que les objectifs premiers de ces politiques sont bien remplis, comme la mise en place de conditionnalités qui pourraient être inclues dans ces clauses.
Gérer le coût d’opportunité des fonds publics
Pour garantir une utilisation efficace des fonds publics, il est donc essentiel de mettre en place des mécanismes d’évaluation solides. Il est important de fixer des objectifs réalistes et de développer en permanence les capacités des personnes impliquées dans la mise en place des politiques industrielles. Sur la base des capacités existantes, il convient de fixer des objectifs atteignables plutôt que de faire des promesses politiques audacieuses (Vicard, 2024) [55].
Au niveau de l’UE, il est particulièrement nécessaire de développer des compétences pour une évaluation efficace des politiques industrielles, car l’expertise actuelle est principalement au sein des États membres. Un élément clé serait la mise en place d’un mécanisme de financement européen commun pour les projets de politique industrielle, dans le cadre duquel l’UE serait clairement responsable de la supervision et de l’évaluation. Conformément au besoin d’une échelle européenne citée précédemment, cela permettrait également de renforcer la coordination et l’efficacité de l’action en matière de politique industrielle dans les États membres. Une tentative récente de la Commission de créer un tel fonds dans le contexte du Net Zero Industry Act a échoué (von der Leyen, 2022) [56].
Dans cette note nous avons tenté de clarifier les objectifs et les principes fondamentaux qui pourraient guider une stratégie industrielle européenne. Les trois grands axes sont une orientation claire vers la transition climatique, l’exploitation de l’échelle européenne et la mise en place d’une gouvernance forte à ce niveau.
Cyprien Batut & Jonas Kaiser
Image : Ljubow Sergejewna Popowa, Projet de décor pour la pièce de théâtre Le Cocu Magnifique de F. Crommelynck, 1922, Gouache et encre sur papier.
Notes
[1] Juhász, R., Lane, N., & Rodrik, D. (2024). The New Economics of Industrial Policy. Annual Review of Economics.
[2] Lors du 19e congrès du PCC, Xi Jinping disait : « Si c’est à nous qu’il revient d’accomplir l’édification de la civilisation écologique, ses effets bénéfiques profiteront aux générations successives de Chinois durant des siècles. Nous devons ancrer solidement l’idée de la civilisation écologique socialiste, créer une nouvelle situation de modernisation marquée par le développement harmonieux de l’homme et de la nature, et apporter les contributions de notre génération à la protection de l’écosystème »
[3] FMI. (2024). Industrial Policy Coverage in IMF Surveillance—Broad Considerations (2024/008; Policy Paper). Fonds monétaire international.
[4] Juhász, R., Lane, N., & Rodrik, D. (2024). Op. Cit.
[5] Lin, J., & Chang, H. J. (2009). Should Industrial Policy in developing countries conform to comparative advantage or defy it? A debate between Justin Lin and Ha‐Joon Chang. Development policy review, 27(5), 483-502.
[6] Si le marché peut agir en commissaire-priseur, si l’on reprend la métaphore de Léon Walras, pour fixer les prix, l’Etat peut faire de même.
[7] Rodrik, D. (2004). Industrial policy for the twenty-first century. Available at SSRN 666808.
[8] Millot, V., & Rawdanowicz, Ł. (2024). The return of industrial policies: Policy considerations in the current context (OECD Economic Policy Papers 34; OECD Economic Policy Papers, Vol. 34).
[9] FMI. (2024). Op. Cit.
[10] Vicard, V. (2024). Faut-il réindustrialiser la France? Presses universitaires de France (PUF).
[11] Rodrik, D., & Stantcheva, S. (2021). Fixing capitalism’s good jobs problem. Oxford Review of Economic Policy, 37(4), 824–837.
[12] Rodrik & Stantcheva (2021) définissent les « bons emplois » comme des emplois qui offrent un niveau de vie de classe moyenne, un salaire suffisamment élevé, de bons avantages sociaux, des niveaux raisonnables d’autonomie personnelle, une sécurité économique adéquate et des échelons de carrière.
[13] Millot, V., & Rawdanowicz, Ł. (2024). Op. Cit.
[14] Juhász, R., Lane, N., & Rodrik, D. (2024). Op. Cit.
[15] Juhász, R., & Lane, N. (2024). The Political Economy of Industrial Policy. National Bureau of Economic Research.
[16] Criscuolo, C., Gonne, N., Kitazawa, K., & Lalanne, G. (2022). An industrial policy framework for OECD countries: Old debates, new perspectives (OECD Science, Technology and Industry Policy Papers, Vol. 127).
[17] Newell, R. G., Prest, B. C., & Sexton, S. E. (2021). The GDP-Temperature relationship: Implications for climate change damages. Journal of Environmental Economics and Management, 108, 102445.
[18] Nath, I., Ramey, V., & Klenow, P. (2023). How Much Will Global Warming Cool Global Growth? (NBER Working Paper Series).
[19] Burke, M., Hsiang, S. M., & Miguel, E. (2015). Global non-linear effect of temperature on economic production. Nature, 527(7577), 235–239.
[20] Oxford Economics. (2022). The global economic costs of climate change inaction.
[21] Bilal, A., & Känzig, D. (2024). The Macroeconomic Impact of Climate Change: Global vs. Local Temperature. National Bureau of Economic Research.
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[44] Evenett, S., Jakubik, A., Martin, F., & Ruta, M. (2024). Op. Cit.
[45] Voir par exemple Criscuolo et al. (2022) ou Juhász et al. (2024).
[46] D’autres justifications de ces politiques incluent les retombées résultant des avantages sociaux de la mission, ainsi que des graves défauts de coordination et de la légitimité fournie par le défi sociétal lui-même (Criscuolo et al., 2022).
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[50] Juhász, R., & Lane, N. (2024). Op. Cit.
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