Le marché du travail traverse une période de profondes mutations, exacerbée par la nécessité de répondre aux défis climatiques tout en maintenant une économie durable et équitable. La transition environnementale, en particulier, impose des changements structurels majeurs qui affecteront inévitablement de nombreux secteurs d’activité, ainsi que les travailleurs qui en dépendent.
Ce rapport vise à éclairer ces dynamiques, en analysant les impacts potentiels de cette transition sur le marché du travail et en proposant des solutions pour accompagner au mieux les salariés et les régions les plus touchés.
Les 3 chapitres du rapport
Transition environnementale et marché du travail
En renchérissant les coûts de la production carbonée, la transition environnementale va nécessairement entraîner une réallocation des travailleurs en dehors secteurs bruns. L’effet des politiques environnementales sur l’emploi net devrait être faible, mais elles risquent tout de même d’être destructrices d’emploi dans certains secteurs d’activité.
Les emplois bruns ne sont pas comme les autres
Les emplois bruns sont plus ruraux, mieux payés, demandent des compétences techniques et spécifiques et sont le plus souvent occupés par des hommes plus âgés que la moyenne. La combinaison de ces caractéristiques rend leurs réallocations plus coûteuses avec comme risque que les travailleurs bruns soient à la source d’une opposition politique à la transition environnementale.
Mieux accompagner la transition sur le marché du travail
Nous explorons trois pistes pour améliorer l’accompagnement des travailleurs bruns. D’abord, la mise en place d’un système d’assurance salariale pour compenser les travailleurs pour qui la reconversion est trop coûteuse. Ensuite, le renforcement des politiques locales pour cibler les territoires plus directement affecté par la transition. Enfin, une adaptation des politiques de formation pour pallier leur relatif insuccès.
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1. Transition environnementale et marché du travail
Sur le marché du travail, la transition est une équation avec trois inconnues :
Le coût en termes de croissance
La plupart des estimations prévoient que les politiques en transition auront un impact négatif sur la croissance, ce ralentissement pourrait alors avoir un impact sur l’emploi en retour.
L’ampleur des réallocations de main-d’œuvre nécessaires
En changeant la valeur relative de certaines compétences et occupations, la transition implique des réallocations qui seront concentrées sur des segments marginaux, mais tout de même significatifs, du marché du travail.
Les conséquences du changement climatique sur les conditions de travail.
Le changement climatique lui-même risque d’affecter les conditions de travail, principalement à travers les changements de température qui pourraient avoir un effet sur le bien-être au travail et la productivité.
2. Les différences entre les emplois bruns des autres
Un emploi peut être dit brun quand les tâches qu’il implique sont directement polluantes (approche « bottom up»). D’autres définitions sont possibles mais moins facilement utilisable à l’aide des statistiques publiques.
- Les activités les plus polluantes sont le plus souvent situées en dehors des grandes villes et des zones densément peuplées.
- En France, les emplois polluants sont répartis de façon plutôt équilibrée sur le territoire, mais sont relativement absents en région parisienne et dans le Sud.
- Au niveau européen, les emplois polluants ne sont pas répartis de façon homogène. Les différences reflètent à la fois la spécialisation sectorielle de certaines régions et le fait que certains secteurs sont plus ou moins polluants dans certains pays.
- Si l’employeur peut se permettre, pour différentes raisons, de distribuer des salaires plus élevés que la moyenne, alors il est plus difficile pour le travailleur touché de retrouver un salaire équivalent s’il perd son emploi.
- En France, à caractéristique égale, les salariés des emplois bruns étaient payés 14 % au-dessus de la moyenne en 2019.
- Il sera difficile pour les salariés des emplois menacés de retrouver un emploi facilement si les compétences qu’ils demandent sont idiosyncratiques et les investissements nécessaires pour retrouver un emploi dans un secteur différent seront d’autant plus importants.
- Le Graphique montre la relation entre la prévalence relative d’une compétence donnée dans les annonces pour des emplois verts et bruns (ordonnée) et sa prévalence relative pour les mêmes occupations dans les annonces génériques (abscisse).
- Les compétences contenues dans les annonces pour les emplois verts et bruns ne font pas forcément partie de l’ensemble des compétences de base de cette profession. Cela implique des efforts de reformation plus importants.
- Les emplois bruns sont aussi occupés par des profils différents : les travailleurs bruns sont en moyenne plus âgés, plus souvent des hommes et sont plus nombreux à ne pas avoir de diplôme du supérieur.
- Ces différences sociodémographiques sont aussi importantes pour comprendre les possibles inégalités créées par la transition.
3. Mieux accompagner la transition sur le marché du travail
Le principe de l’assurance salariale est de garantir aux personnes venant de perdre leur emploi une partie au moins de leur précédent salaire dans leur prochain emploi. À la différence de l’assurance chômage, qui protège le travailleur des conséquences de l’arrêt du travail et de la perte de revenu qui en découle, l’assurance salariale le protège du risque de salaire plus faible lors du retour à l’emploi. Ce risque est particulièrement élevé dans le cas des emplois bruns.
L’assurance salariale permet de limiter le coût de la perte d’emploi et comble les manques de l’assurance chômage, car celle-ci ne prend pas en compte le risque que le salaire soit plus bas au retour à l’emploi.
La transition climatique ne touche pas toutes les régions de la même manière. Les industries et les emplois polluants sont généralement concentrés dans des zones spécifiques, souvent rurales.
Les politiques industrielles locales sont des instruments déployés par les pouvoirs publics visant à transformer la structure géographique de l’activité. Ces politiques ciblant non pas des personnes, mais des territoires jouent un rôle indispensable pour accompagner les chocs économiques sur le marché du travail parce que la mobilité du travail est limitée.
Les politiques locales peuvent aider les régions particulièrement touchées par la transition climatique et permettre de favoriser la création d’emplois verts là où les emplois bruns sont détruits.
La formation ne suffira pas seule à accompagner les travailleurs bruns venant des secteurs polluants, mais cela ne signifie pas qu’elle n’a pas de rôle à jouer.
Il faut privilégier des programmes de formation courts ou bien se passant sur le lieu de travail, limitant ainsi leur coût d’opportunité, et les cibler vers les travailleurs les plus jeunes. Par ailleurs, les programmes de formation ne doivent pas être ciblés uniquement sur les emplois dits « verts », mais l’ensemble des métiers en tension.
À propos des auteurs
Cyprien Batut est chef de projet à l’Institut Avant-garde. Il est diplômé de l’École d’Économie de Paris et docteur en économie de l’École d’Économie de Paris et de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Il s’intéresse principalement aux politiques publiques françaises sur le marché du travail. Après sa thèse, il a rejoint la Direction Générale du Trésor notamment en tant que Conseiller en charge de la politique économique au sein du cabinet du directeur général du Trésor.
Jonas Kaiser est chargé d’études à l’Institut Avant-garde. Il est diplômé de Sciences Po Paris en politique économique internationale. Sur le plan académique, il s’intéresse à la dette publique et aux politiques budgétaires en France, Allemagne et Europe. Il est également bénévole chez FiscalFuture, une organisation du European Macro Policy Network qui vise à promouvoir des politiques économiques et financières adaptées aux enjeux futurs.
Image : Umberto Boccioni, Il Mattino, 1909, huile sur toile, 60×55 cm. Collection Mazzotta.