Une note de Cyprien Batut, Jonas Kaiser, Max Krahé et Clara Leonard.
Synthèse
Alors que les négociations sur le Pacte de Stabilité et de Croissance viennent de se terminer, il est temps de passer à la prochaine étape : s’accorder sur des règles complémentaires visant cette fois-ci à assurer le respect nos objectifs de réduction des émissions. Nous défendons avec le think tank allemand Dezernat Zukunft le lancement d’un nouveau cycle de négociations pour construire des règles européennes symétriques, c’est-à-dire qui se préoccupent autant de la soutenabilité économique que climatique.
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Les pays européens font face à une double menace budgétaire et climatique. Ils sont en retard sur leurs engagements de réduction des émissions, mais l’accumulation des crises a aussi laissé un niveau de dette publique plus élevé en héritage. Les nouvelles règles budgétaires européennes ont pour objectif d’améliorer leur soutenabilité budgétaire des pays européens, mais avec quelle conséquence pour la lutte contre le changement climatique ? Les États membres pourraient être obligés de réduire leurs investissements dans la décarbonation de leurs économies alors même que les années à venir sont particulièrement critiques si nous voulons atteindre nos objectifs climatiques.
Dans cette note, nous rappelons que les objectifs de réduction d’émissions ne sont pas moins une exigence juridique européenne que ceux de réduction des dettes. Les règles budgétaires européennes sont plus restrictives que les engagements européens en matière de réduction des émissions, car ces derniers ne sont pas associés à des sanctions explicites et à des procédures de suivi aussi strictes que le cadre budgétaire à l’échelle européenne. Il existe ainsi une hiérarchisation implicite entre les objectifs de réduction des émissions et de réduction des dettes, en faveur des seconds.
Cette note franco-allemande défend donc le lancement d’un nouveau cycle de négociation afin de rétablir un équilibre des objectifs. Le but de cette négociation serait de mettre en place des règles climatiques, complémentaires aux règles budgétaires européennes. Le coût économique d’un défaut climatique et la présence d’externalité entre générations, mais aussi entre États membres, fait que ces règles climatiques sont tout aussi légitimes que les règles budgétaires existantes.
À quoi pourraient ressembler les règles climatiques ? Les règles climatiques pourraient créer des obligations de résultat. Des trajectoires de réduction des émissions seraient fixées et les États membres devraient publier des plans objectivant la manière dont ils souhaitent investir pour atteindre leurs cibles de réductions à long terme. Elles pourraient également créer des obligations de moyens en instaurant des règles d’investissement dans la décarbonation des économies, par exemple en fixant un minimum du PIB devant être investi chaque année.
Mais la forme même des règles doit aussi prendre en compte leur crédibilité et leur acceptabilité. Nous explorons ainsi plusieurs mécanismes qui permettraient de s’assurer que celles-ci soient respectées : soit des sanctions financières sur le modèle du Pacte de Stabilité et Croissance, soit le non-versement de fonds européens pour le climat. La création de règles climatiques symétriques passe également par la refondation de la gouvernance européenne du carbone et l’implication des Institutions Fiscales Indépendantes comme le HCFP pour évaluer les plans d’actions des États membres.
Cette note est le premier volet d’un diptyque. Nous considérons que l’Europe ne doit pas simplement adopter une logique punitive (les règles), mais également se donner les moyens de ses ambitions en créant un Fonds Européen pour le Climat qui lui permettra de les respecter.
Pour que ces règles soient réalistes, ces négociations doivent donc en même temps porter sur deux volets : le montant total des ressources à mobiliser dans l’UE, leur origine et leur répartition ; la définition de règles climatiques crédibles qui pourraient être acceptées par les États membres. Amorcer ces négociations permettra d’affronter réellement l’une des questions les plus épineuses de la politique économique aujourd’hui : comment résoudre le dilemme entre épuisement planétaire et budgétaire ?
Sur les auteurs
Cyprien Batut est diplômé de l’École d’Économie de Paris et docteur en économie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Il s’intéresse principalement aux politiques publiques françaises sur le marché du travail. Après sa thèse, il a rejoint la Direction Générale du Trésor notamment en tant que Conseiller en charge de la politique économique au sein du cabinet du directeur général du Trésor. Il est économiste sénior à l’Institut Avant-garde depuis septembre 2023.
Jonas Kaiser est diplômé de Sciences Po Paris en politique économique internationale et de la Rotterdam School of Management en commerce international. Sur le plan académique, il s’intéresse à la dette publique et aux politiques budgétaires en France, en Allemagne et en Europe. Il est également bénévole chez FiscalFuture, une organisation du European Macro Policy Network qui vise à promouvoir des politiques économiques et financières adaptées aux enjeux futurs. Il est chargé d’études à l’Institut Avant-garde depuis septembre 2023.
Max Krahé est cofondateur et directeur de recherche de Dezernat Zukunft, un groupe de réflexion macrofinancière basé à Berlin. Ses travaux portent sur la souveraineté et la relation entre la démocratie et le capitalisme en Allemagne et en Europe. Il est titulaire d’un doctorat en théorie politique et en économie politique de l’université de Yale, d’une maîtrise en théorie politique de la LSE et d’une licence en philosophie, politique et économie de l’université d’Oxford.
Clara Leonard est co-fondatrice et directrice générale de l’Institut Avant-garde. Docteure en économie après une thèse sur l’histoire des doctrines de la dette publique française entre 1918 et 1960 sous la direction d’Annie Cot et d’Éric Monnet, elle est également diplômée d’HEC Paris, de la Sorbonne et de la London School of Economics. Elle a travaillé à la Direction Générale du Trésor sur les questions européennes.
Image : Yves Klein, La grande Anthropométrie bleue, 1960, 428 x 280 cm, pigment et résine synthétique sur papier marouflé sur toile, Guggenheim Bilbao.