La Cour des Comptes a publié son rapport public annuel, consacré pour la première fois à l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique. Illustré par plusieurs exemples à une échelle très locale ou sectorielle, ce rapport permet cependant de tirer des leçons au niveau macroéconomique pour la transition et son financement.
Comment chiffrer les coûts et besoins d’adaptation ?
L’institution juge que la France n’a toujours pas pris la mesure de l’enjeu de l’adaptation au changement climatique.
C’est d’abord une question de mesure : ni le rapport Pisani-Mahfouz via une approche macroéconomique, ni par exemple I4CE via une approche microéconomique n’arrivent à évaluer précisément les coûts actuels et futurs de l’adaptation. Car plusieurs couches de complexité se superposent : écarts de définition entre adaptation au changement climatique et indemnisation et adaptation aux dommages climatiques, incertitude quant à l’évolution des dommages, diversité des réponses à des échelles territoriales variées, diversité des horizons temporels, incertitude sur l’évolution des prix et surtout, prise en compte (ou non) des effets systémiques du climat sur nos territoires. Ces complexités rejoignent celles sur l’estimation d’une dette climatique[1], et expliquent largement les écarts d’évaluation de l’atténuation ou de l’adaptation entre plusieurs institutions[2].
C’est aussi une question de connaissance des risques climatiques et de leurs dommages à venir. Cette connaissance est particulièrement lacunaire sur les risques « latents », certains donc non-assurables, comme le retrait-gonflement des argiles (RGA), le recul du trait de côte ou encore les inondations lentes par remontée de nappes : si ces risques sont parfaitement localisés, leur probabilité, fréquence et ampleur sont totalement incertaines, sinon anxiogènes de par leur étendue et le coût de l’indemnisation couplée à celle de l’adaptation si les dommages venaient à se matérialiser. Des progrès massifs sont donc à réaliser, à la fois sur le recensement des zones touchées, des biens publics et privés à risque, et sur l’évaluation économique des coûts de réparation et de prévention, qui ne permettent pas aujourd’hui de mener une politique publique issue d’un calcul coût / bénéfice.
La Cour donne un exemple frappant de cette méconnaissance : concernant le recul du trait de côte, entre 5 000 et 50 000 logements seraient concernés en métropole et Outre-mer, pour une valeur de 0,8 à 8 Md€ ; or ces estimations ne prennent pas en compte l’élévation du niveau de la mer, et n’introduisent pas de décote de la valeur des biens dans les estimations. Par ailleurs, le Cerema ne fait aujourd’hui pas de distinction entre résidences secondaires et principales, pourtant au cœur de la politique publique à mener. Enfin et surtout, les autres biens menacés ne sont pas pris en compte en dépit du coût potentiellement considérable de leur relocalisation : bâtiments publics, sites Seveso, réseaux routiers, d’eau, d’assainissement ou d’électricité, entreprises, activités agricoles ou encore les structures touristiques.
C’est enfin une question de rôle donné à la prévision et aux organismes de recherche sur la question. La méconnaissance des risques et les difficultés de mesure s’expliquent également par une analyse uniquement rétrospective des risques permise par les modèles climatiques, alors qu’un véritable effort de prévisions et de prospective s’impose. Prévisions, projections, cartographies, prospective : des outils de … planification.
Le rôle de l’Etat dans la transition – l’éloge de la planification écologique
Le rapport de la Cour entend bien remettre l’Etat au cœur de l’adaptation et de l’action climatique, et ce dans une logique de planification : l’Etat est garant de la cohérence des politiques, des arbitrages, de la coordination entre les acteurs, il fixe des objectifs et en définit la trajectoire.
On retrouve ici le rôle de l’orchestrateur des soutenabilités défini par France Stratégie : l’adaptation requiert un arbitre entre plusieurs conflits de soutenabilité (environnementale, sociale, démocratique), ce qui demande des décisions courageuses car porteuses de mécontentement social immédiat. C’est par exemple le cas pour les conflits autour des ressources (eau, forêt[3]), pour le dilemme entre urbanisation et recul du trait de côte, entre aspiration sociale pour le pavillon et l’habitat dispersé et le risque de feux de forêt, ou plus généralement pour une aménagement drastique du territoire dans certaines zones « noires » et une réflexion autour de l’accès au foncier et à la propriété dans ces zones à risques climatiques certains.
L’Etat est également stratège, en jouant à la fois sur la réglementation et les prix, afin de responsabiliser les agents face aux risques climatiques, et les inciter à mener des actions d’adaptation et de prévention collective sur leurs logements et locaux. Cette politique d’incitation ne pourrait cependant se soustraire à une refonte du système d’indemnisation et de solidarité face aux dommages climatiques. Cette stratégie se doit être de long-terme selon la Cour, car l’urgence et les réponses au cas par cas sont peu propices à l’efficacité de l’action publique. La Cour déplore en effet une logique de court terme dans la politique actuelle d’adaptation, qui n’est qu’une gestion des conséquences des crises aux dépens de la prise en compte de l’aggravation des risques climatiques, cette aggravation étant malheureusement bien souvent en concurrence avec des mesures de développement économique.
L’Etat planificateur pilote et coordonne les acteurs de l’adaptation. Aujourd’hui, les acteurs au cœur de l’adaptation au changement climatique sont les collectivités locales, maîtresse de l’environnement du bâti. Cependant, pour être efficace, cette politique décentralisée doit être coordonnée, notamment entre les différentes échelles des collectivités (communes, EPCI, départements), et financée[4].
Le financement de l’adaptation et le partage de la facture
En effet, la Cour déplore une étatisation de l’adaptation sans se poser la question du partage de la facture entre différents secteurs institutionnels, et ce de façon démocratique. Par exemple, le fonds Barnier, hier fonds dédié à la prévention collective et l’adaptation et financé par une surprime sur les contrats d’assurance, est désormais intégré au budget de l’Etat, et exclut de fait une grande partie des risques climatiques coûteux de demain (RGA et inondations lentes notamment). Surtout que le rapport pointe les investissements publics, mais n’oublie pas les besoins de financement pour mieux allouer les flux financiers, modifier les conditions économiques de financement des entreprises, déplacer les curseurs de rentabilité[5] ou encore améliorer la rentabilité des investissements d’adaptation. On retrouve ici les différents rôles de l’Etat dans la transition que portent des chercheurs comme Daniela Gabor ou Benjamin Braun : selon la Cour, l’Etat ne peut pas uniquement faire du « derisking » concernant l’adaptation et se limiter à un rôle assurantiel, c’est-à-dire prendre en charge une partie du risques économique et financier pour que les capitaux privés s’orientent vers des investissements d’adaptation ; l’Etat doit aussi être planificateur, en renforçant sa capacité à orienter les capitaux privés vers une certaine allocation des ressources – ici l’adaptation.
Comment réaliser ce partage de la facture ? Le rapport pointe certaines idées (instituer un mécanisme de solidarité contre les risques climatiques cofinancé par le secteur privé, notamment les propriétaires ; rôle de la Banque des Territoires ; taxe de séjour et taxe GeMAPI pour financer la gestion du recul du trait de côte ; etc.), mais c’est peut-être sur cette question du financement que le rapport est le plus décevant, et contradictoire. Alors que le rapport ouvre sur un chapitre faisant l’état des finances publiques, il rappelle l’importance de réduire les déficits, d’inscrire la dette dans une trajectoire décroissante, et de préserver le potentiel de croissance. En préconisant, d’ici 2027, le ralentissement de la dépense publique … avant de décrire 700 pages de besoins de financements urgents, sous-évalués et mal anticipés.
En discutant des stations de haute montagne, la Cour fustige la priorité donnée à la préservation d’un modèle économique, au détriment de l’adaptation au changement climatique : cet entêtement est, selon l’institution, une utilisation inefficace des ressources comparée à d’autres options, une façon de réduire la flexibilité des systèmes naturels ou humains (et donc les marges d’adaptation future), une erreur de calibrage entraînant une sous-adaptation et la nécessité d’interventions ultérieures, plus onéreuses, qui auraient pu être évitées. Il est dommage qu’un pas de côté (jardin) n’ait pas été fait pour appliquer ce raisonnement au financement de l’adaptation.
Mathilde Viennot
Image : Robert Raymond (1891-1946), Soleil sur Douarnenez, Huile sur toile.
Notes:
[1] Voir les travaux de l’Institut Avant-garde consacrés à la dette climatique ou encore un article de Clara Leonard et Mathilde Viennot consacré au sujet dans Alternatives Economiques.
[2] Par exemple, I4CE chiffre à 2,3 Md€ par an le besoin de financement de l’adaptation en France (I4CE (2022), « Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France : de combien parle-t-on ? », juin), alors que la Cour des Comptes estime à 2,7 Md€ (chiffre Cerema) les besoins d’investissement de la seule région Nouvelle Aquitaine sur le seul risque de recul du trait de côte.
[3] Voir la note de l’Institut Avant-garde dédiée aux puits de carbone
[4] Voir la note de l’Institut Avant-garde dédiée au financement des collectivités locales pour réussir la transition.
[5] Voir la note de l’Institut Avant-garde sur les taux verts et les taux bruns.