Une note de Jérôme Creel, Fippadict, Clara Leonard, Nicolas Leron, Juliette de Pierrebourg.
Synthèse
Les États membres de l’Union européenne font face à des injonctions contradictoires que la création d’un Fonds Européen pour le Climat participerait à atténuer, sinon à résoudre. D’un côté, ils doivent réaliser les investissements nécessaires pour respecter leurs objectifs de réduction des émissions carbone et atteindre l’objectif net zéro à l’horizon 2050. De l’autre, ils sont contraints par les règles budgétaires européennes et la remontée des taux, qui limitent leurs capacités d’endettement et de financement. Pris dans cet étau, les gouvernements ont, jusqu’ici, préféré abandonner leurs ambitions climatiques et privilégier la soutenabilité budgétaire. En France, le rabot de 2,1 milliards d’euros sur les crédits dédiés à l’écologie dans le cadre du décret d’annulation visant à tenir nos objectifs budgétaires en constitue l’illustration la plus frappante. Pour répondre à ce dilemme qui met en péril notre capacité à faire face au défi climatique, nous proposons la création d’un Fonds Européen pour le Climat. Chargé dans un premier temps d’assurer le financement de la transition, il pourra également intégrer des considérations de souveraineté, et il constituera un pas de plus vers une Europe unie autour d’enjeux communs.
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Les estimations du déficit actuel d’investissements pour atteindre les objectifs de décarbonation s’accordent sur des besoins additionnels significatifs : une fourchette basse autour de 2 à 3 % du PIB européen. Ces besoins interviennent dans un contexte marqué par un accord sur de nouvelles règles budgétaires européennes tout autant restrictives que les précédentes, et par la disparition à l’horizon 2026 des financements liés au plan de relance Next Generation EU. Au total, ces contraintes imposeraient aux États européens de réaliser des économies d’environ 2,5 points de PIB d’ici quatre ans, ce qui paraît difficilement tenable.
Les investissements nécessaires pour assurer la transition ne sont pas tous rentables et certains, par essence, relèvent de l’échelle supranationale et du bien commun européen. Le Fonds pourrait orienter ses financements vers ces investissements qui sont, à l’heure actuelle, mal pris en charge tant par le secteur public que par le secteur privé. Un financement commun aurait de nombreux effets positifs : cela permettrait de réaliser des économies d’échelle, de répondre à la demande concrète des citoyens européens de voir des projets financés à l’échelle européenne, de coordonner et planifier l’effort de transition et de garantir que toutes les dépenses nécessaires aient lieu tout en réduisant leur poids budgétaire pour les États membres. Pour cela, il faudrait privilégier les subventions. D’autres outils pourraient être cependant envisagés en complément, tels que des prêts concessionnels aux États membres à des taux plus faibles que le taux de marché et des garanties de prêts (par exemple, ceux de la Banque Européenne d’Investissement).
Pour financer le Fonds, il faudra à la fois réfléchir à des ressources propres et au versement d’un capital par les États membres en fonction de clés de répartition adaptées à l’enjeu. Si de nouvelles ressources propres de l’Union Européenne pourraient être envisagées, elles risquent de ne pas suffire ou d’être politiquement trop coûteuses pour être mises en place. Il faudra donc avoir recours à un financement commun par les États membres. Il sera alors nécessaire de mener une négociation sur des clés de répartition entre États membres afin de déterminer les critères selon lesquels les fonds seront abondés puis alloués. Nous analysons différents critères qui pourraient être envisagés et qui ne refléteraient pas simplement le poids économique ou de population de ces différents États. Le Fonds climat pourrait être financé en priorité par les États membres ayant le plus de capacités budgétaires et les émissions historiques les plus importantes ; il pourrait bénéficier en particulier aux États dont les capacités sont trop limitées pour répondre convenablement au défi de la transition, et qui ont les besoins de financement les plus importants pour atteindre leurs cibles de réduction d’émissions.
L’initiation d’une discussion sur un Fonds Européen pour le Climat permettra à terme de mettre en place une stratégie de financement ordonnée et transparente de la transition écologique en nous forçant à chercher à résoudre le dilemme entre épuisement planétaire et budgétaire. En effet, la répartition de la charge entre l’échelle nationale et européenne, entre États membres, mais également entre le secteur public, les entreprises, le secteur financier et les ménages doit être le fruit d’une concertation. Elle devra mener à la définition d’une stratégie de financement transparente, évitant de faire peser des risques systémiques sur l’Europe, que ce soit par surcharge budgétaire ou par inaction climatique. Cette note met également en avant la nécessité de développer des estimations des besoins de financement pour chaque pays européen avec une méthodologie harmonisée pour assurer une planification et développer une vision systémique.
Enfin, au regard de l’évolution du contexte géopolitique actuel, la création de cette structure pourra à l’avenir servir à financer d’autres dépenses susceptibles de faire peser un risque existentiel sur l’Union européenne. Les questions de défense et de souveraineté vont peser sur l’avenir de l’Union Européenne. Si nous nous concentrons dans cette note sur les investissements pour le climat, notre proposition pourra intégrer ces objectifs qui, à certains égards (énergétiques par exemple), vont de concert avec les objectifs climatiques.
Sur les auteurs
Jérôme Creel est directeur du département des études de l’OFCE-Sciences Po et professeur associé d’économie à ESCP Business School. Spécialiste de questions macroéconomiques et de gouvernance européenne, il publie régulièrement dans des revues internationales et coordonne les éditions de L’économie européenne dans la collection Repères à La Découverte, la dernière ayant paru en septembre 2023. Il participe en tant qu’expert aux travaux préparatoires de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen.
Fipaddict est enseignant en économie et en finances publiques. Il est très actif sur Twitter et publie régulièrement des chroniques dans Alternatives économiques. Il est fellow pour l’Institut Avant-garde depuis octobre 2023.
Clara Leonard est co-fondatrice et directrice générale de l’Institut Avant-garde. Docteure en économie après une thèse sur l’histoire des doctrines de la dette publique française entre 1918 et 1960 sous la direction d’Annie Cot et d’Éric Monnet, elle est également diplômée d’HEC Paris, de la Sorbonne et de la London School of Economics. Elle a travaillé à la Direction Générale du Trésor sur les questions européennes.
Nicolas Leron, docteur en science politique, est directeur de l’Institut François Mitterrand et chercheur associé au Cevipof et à l’OFCE (Sciences Po). Il est l’auteur de La double démocratie. Une Europe politique pour la croissance (2017, Seuil) avec Michel Aglietta, et de Souveraineté, l’obsession des nations (2022, Bouquins). Il est membre du comité de rédaction de la revue Germinal.
Juliette de Pierrebourg est diplômée de Sciences Po Paris où elle a suivi sa licence et un master de recherche en science politique. Elle s’intéresse à l’économie politique de la dette, de la finance, et à la politique en temps de crise. Elle est chargée d’études à l’Institut Avant-garde depuis décembre 2023.
Image : Yves Klein, La grande Anthropométrie bleue, 1960, 428 x 280 cm, pigment et résine synthétique sur papier marouflé sur toile, Guggenheim Bilbao.