Dans cette note, nous analysons l’effet des économies prévues dans le PLF 2025 à la lumière des règles budgétaires européennes et sur la base d’une analyse de la soutenabilité de la dette. Nous montrons qu’à cause des garde-fous qui encadrent les règles budgétaires européennes, un ajustement initial important, comme prévu par le gouvernement dans le PLF, ne sera que partiellement récompensé par un ajustement plus faible plus tard. Faire des efforts très importants en début d’ajustement, au risque d’effets plus récessifs sur la croissance, n’est donc pas justifié au regard des règles budgétaires européennes.
La semaine dernière, le gouvernement a publié le Projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Le PLF prévoit un effort de 60 milliards euros l’année prochaine afin de retourner sous la barre des 3 % de déficit d’ici 2029. Selon le Haut Conseil des Finances Publiques, cet effort correspond à un ajustement du solde structurel primaire de 1,4 point de PIB en 2025 [1].
Ce fort ajustement coïncide avec l’entrée en vigueur des nouvelles règles budgétaires européennes en 2024, après qu’elles ont été suspendues pendant quatre ans. Dans ces règles réformées, les pays doivent suivre une trajectoire des dépenses nettes pour une période de quatre ou sept ans qui assure que la dette publique descende plausiblement à la fin de cet intervalle de temps (voir encadré 1). De plus, le Conseil de l’UE a lancé une procédure concernant les déficits excessifs (PDE) contre la France en juillet. La PDE oblige la France d’ajuster le solde structurel primaire d’au moins 0,5 % par an jusqu’à ce que le déficit soit en dessous de 3 % du PIB [2].
Encadré 1 – Les règles budgétaires européennes
Selon les règles budgétaires de l’UE, les pays suivent une trajectoire des dépenses nettes de quatre ans. Elle peut être prolongée à sept ans s’ils proposent des réformes et investissements qui favorisent la croissance, la soutenabilité budgétaire, ainsi que les priorités de l’UE. La trajectoire doit respecter plusieurs critères :
- Sur la base d’une analyse de la soutenabilité de la dette (DSA), la dette publique doit diminuer à la fin de la période d’ajustement dans plusieurs scénarios macroéconomiques et avec une probabilité de 70 % dans une analyse stochastique qui modélise une multiplicité de chocs possibles.
- À la fin de la période de l’ajustement, le déficit public doit être inférieur à 3 %.
- Si un pays a une dette supérieure à 60 % du PIB ou un déficit supérieur à 3 % du PIB, deux garde-fous (safeguards) s’appliquent en plus :
- Garde-fou de la dette : Réduction d’au moins un point du ratio de la dette/PIB par an (0,5 point si la dette est entre 60 % et 90 %).
- Garde-fou du déficit : Amélioration du solde structurel primaire d’au moins 0,25 point de PIB par an (0,4 point si la période d’ajustement est 4 ans) si le déficit structurel est supérieur à 1,5 %.
Est-ce que la stratégie prévue dans le PLF est récompensée dans le cadre des règles budgétaires européennes ? Afin de répondre à cette question, nous avons comparé l’ajustement structurel primaire prévu dans le PLF 2025 avec la trajectoire d’ajustement minimale pour respecter les règles [3]. Est-ce qu’un ajustement fort en début de période, notamment car il permet de sortir de la procédure de PDE plus tôt, se traduit par un effort moindre ensuite ? Nous nous basons sur la méthodologie du think tank Bruegel avec les données de la prévision de printemps de la Commission européenne ainsi que les données macroéconomiques du PLF 2025.
Le Graphique 1a montre la trajectoire de référence qui permet de respecter les règles en gris. Cette trajectoire suggère un ajustement du solde structurel primaire autour de 0,6 pp pendant les périodes en PDE jusqu’à 2030 [4] et de 0,25 pp en 2031 à cause du garde-fou du déficit [5].
La stratégie budgétaire du gouvernement est plus ambitieuse que ce qu’exigent les règles : elle prévoit un fort ajustement initial de 1,4 pp en 2025. Cela permet de sortir du PDE deux ans plus tôt, mais le garde-fou de la dette exige toujours un ajustement de 0,53 pp en 2029, 2030 et 2031. Cela est nécessaire pour que le ratio de la dette publique baisse d’au moins un point de PIB chaque année comme l’exige la règle (trajectoire en vert foncé). Les montants en euros sont aux prix de 2024.
Le résultat est un ajustement cumulé de 0,95 pp plus élevé par rapport à la trajectoire de référence qui permettrait de respecter les règles (Graphique 1b). Sans le garde-fou de la dette, l’effort cumulé requis serait nettement moins important, mais il ne serait toujours pas inférieur à un respect au minima des règles, cette fois à cause du garde-fou du déficit qui garantit un ajustement minimal.
Graphique 1 – Solde structurel primaire avec les données de la prévision de printemps de la Commission européenne
a) Trajectoires de l’ajustement
b) Ajustements cumulés
Ces trajectoires ne tiennent pas compte des prévisions du PLF 2025, y compris sur l’état initial des finances publiques en 2024. Le Graphique 2a actualise les trajectoires en mettant à jour les données macroéconomiques à l’aide des prévisions incluses dans le PLF. Ces prévisions diffèrent en trois points : un solde structurel primaire plus bas en 2024 (-3,6 % au lieu de -3 % du PIB) et des hypothèses plus optimistes sur la croissance et la croissance potentielle. Dans la trajectoire de référence qui permettrait de respecter les règles (en gris), les ajustements pendant la PDE sont légèrement plus élevés par rapport au scénario avec les données de la Commission. L’effort après la PDE en 2031 est plus fort, à 0,6 pp, pour que le déficit soit en dessous de 3 % à la fin de la période de l’ajustement.
Après un ajustement de 1,4 pp en 2025 (vert foncé), les ajustements en 2026 et 2027 sont un peu plus bas, et l’ajustement post-PDE en 2031 est contraint par le garde-fou du déficit. L’ajustement cumulé est légèrement plus élevé dans ce scénario (Graphique 2b). Les montants en euros sont aux prix de 2024.
Graphique 2 – Solde structurel primaire avec les données macroéconomiques du PLF 2025
a) Trajectoires de l’ajustement
b) Ajustements cumulés
Qu’en retenir ? D’abord, qu’un ajustement initial fort comme prévu dans le PLF 2025 n’est que partiellement récompensé par les règles budgétaires de l’UE par un moindre ajustement plus tard, en grande partie parce que les règles budgétaires suivent une logique de répartition égale des efforts pendant la période d’ajustement. C’est la conséquence des garde-fous (notamment celui de la dette) qui prescrivent des efforts minimaux pour les pays avec une dette élevée, dont la France. Dans le pire des cas, cela entraînerait des ajustements cumulés bien plus importants, comme le montre l’analyse basée sur les prévisions de la Commission. Autrement dit, la stratégie budgétaire du gouvernement implique une réduction du déficit primaire au-delà de ce qui est exigé par les règles.
Les hypothèses macroéconomiques du PLF tempèrent ce problème, comme le suggère le fait que l’ajustement cumulé est à peu près égal dans ce cas. Cependant, un ajustement plus de deux fois plus important que celui qui serait nécessaire en vertu des règles budgétaires risque d’avoir un effet délétère sur la croissance économique qui peut ne pas bien être pris en compte. La prévision d’automne de l’économie française par l’OFCE, par exemple, montre que l’impulsion budgétaire prévue dans le PLF réduirait la croissance économique à 0,8 point de PIB en 2025 (contre 1,1 point dans le PLF).
Jonas Kaiser
Image : Kazimir Malevich, Carré blanc sur fond blanc, 1919, huile sur toile, 79,4x 79,4 cm. Museum of Modern Art, New York.
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Notes
[1] 60 milliards d’euros correspondent à environ 2 % du PIB, mais ils se comprennent comme un effort par rapport au tendanciel. Or, le gouvernement prévoit une tendance défavorable du solde structurel primaire à cause de recettes fiscales moins dynamiques, et des dépenses liées au vieillissement de la population et aux investissements locaux. L’ajustement par rapport à l’année 2024 est donc en réalité moins élevé que 2 %.
[2] L’ajustement minimum sera fait en fonction du solde structurel à partir de 2028.
[3] Nous nous concentrons sur le cas d’une période d’ajustement de sept ans de 2025 à 2031.
[4] Dans le modèle DSA, la PDE est abrogée quand le déficit global passe sous la barre des 3 %.
[5] Le garde-fou de la dette ne s’applique qu’après la sortie de la PDE. Ainsi, si un pays sort de la PDE que l’année avant la fin de la période d’ajustement, comme la France dans ce cas, il ne s’applique pas.