La politique industrielle est de retour au premier plan des agendas politiques et académiques. À Bruxelles et à Washington, les administrations ont récemment mis en œuvre de nombreuses mesures visant à adapter leurs économies aux défis contemporains [1]. Un des architectes de la politique industrielle de Joe Biden, Brian Deese, a récemment affirmé que les « choses ont réellement changé avec les Bidenomics ». « Regardez simplement les États-Unis » a déclaré quant à elle Ursula von der Leyen au Parlement européen, exprimant sa préoccupation concernant la politique industrielle américaine. Elle n’est pas seule ; le conflit entre coopération et compétition inquiète de plus en plus au sein de l’Union, comme l’ont illustré récemment par les rapports d’Enrico Letta et Mario Draghi.
Pour mieux comprendre ces inquiétudes, cette note examine les décisions politiques prises récemment aux États-Unis et dans l’Union européenne (UE). L’objectif est de se pencher sur les choix stratégiques effectués dans les deux zones économiques. Une perspective stratégique met en lumière les différences sous-jacentes dans les approches de la politique industrielle. Cette comparaison constitue une première pierre d’une réflexion plus large de l’Institut Avant-garde sur ce que devrait être une bonne politique industrielle.
En substance, la stratégie industrielle américaine se concentre sur la quête de la primauté, en investissant massivement dans des secteurs stratégiques afin de conserver la primauté technologique, d’encourager l’innovation et de réduire leur dépendance à l’égard de la Chine. La stratégie de l’UE, en revanche, se caractérise par une quête de la sécurité et met l’accent sur la prudence budgétaire, l’accès aux matières premières, la lutte contre le changement climatique et la préservation d’un cadre de compétition libre et non faussée sur les marchés.
Les choix stratégiques de la politique industrielle américaine
La stratégie industrielle américaine repose sur plusieurs piliers pour garder leur première place mondiale : l’investissement dans les technologies vertes, la promotion de l’économie nationale et le découplage avec la Chine.
Investir dans la technologie et l’innovation : Le premier pilier de la stratégie américaine passe par la mobilisation de ressources importantes grâce à des subventions et des crédits d’impôt. Selon le Congressional Budget Office (CBO), l’Inflation Reduction Act (IRA) devait initialement coûter 369 milliards de dollars au cours des dix prochaines années pour augmenter l’investissement dans les secteurs de l’énergie et des technologies vertes. Toutefois, de nombreuses mesures, telles que les subventions pour l’achat de véhicules électriques ou les investissements dans les technologies propres, ne sont pas plafonnées. En fait, quiconque remplissant les critères (par exemple, en utilisant une certaine quantité de biens produits dans le pays) peut bénéficier des subventions. Goldman Sachs prévoit ainsi que l’IRA coûtera au gouvernement fédéral 1 200 milliards de dollars jusqu’en 2032, soit trois fois plus que les estimations initiales du CBO. En avril 2024, le gouvernement américain avait annoncé des financements à hauteur de 60 milliards de dollars depuis l’entrée en vigueur de la loi, ce qui place la trajectoire actuelle des dépenses quelque part au milieu de ces prévisions.
Bien que l’accent soit mis sur les technologies de pointe et les énergies renouvelables, l’approche américaine repose sur une vision néolibérale : Les incitations créées s’appliquent à toutes les entreprises et à toutes les technologies. Un rapport de Crédit Suisse l’illustre dans le cas des programmes visant les énergies renouvelables de l’IRA : « le stockage de l’énergie, les biocarburants, les carburants durables pour l’aviation, le gaz naturel renouvelable et le nucléaire bénéficient tous d’incitations ». Fin 2023, les investissements verts ont augmenté de 38 % par rapport à 2022, selon le Clean Investment Monitor. Cette approche peut être dite « darwinienne », car l’accent est mis sur la promotion de l’innovation par le biais de programmes d’incitation à grande échelle pour toutes les entreprises et technologies. Cette méthode reconnaît que, si certains projets peuvent échouer, les rares succès devraient compenser les coûts des échecs et conduire à l’émergence de leaders technologiques américains dans ces domaines critiques. Si l’État fournit des incitations financières substantielles et soutient l’innovation dans le secteur privé, il ne prend pas en charge directement ces investissements ou cherche à renforcer ses propres capacités en tant qu’acteur économique actif. Ce sont les mécanismes du marché qui déterminent les technologies et les entreprises qui réussissent.
Promouvoir la production nationale et les « bons emplois » : La politique industrielle américaine met aussi l’accent sur les capacités de production nationales et sur la désintermédiation. Les mesures gouvernementales américaines ciblent directement les décisions d’investissement des producteurs dans des domaines stratégiques plutôt que de passer par des intermédiaires financiers. Le CHIPS Act, par exemple, subventionne directement les entreprises qui construisent ou développent leur production de semi-conducteurs sur le sol américain. Les entreprises peuvent également bénéficier d’un crédit d’impôt pour les investissements dans le matériel de production et la construction d’installations. En outre, l’IRA introduit d’autres critères d’intérêt public, tels que des exigences en matière de contenu local ou de conditions de travail, pour rendre les entreprises éligibles aux crédits d’impôt. Cette approche privilégie le soutien direct aux capacités industrielles plutôt que d’influer sur le coût de financement des entreprises.
Stimuler les industries nationales afin de créer de « bons emplois » est l’un des objectifs affichés de cette stratégie. Cela fait partie du discours du gouvernement américain selon lequel les politiques industrielles profitent avant tout à la classe moyenne, comme l’avance Adam Tooze. Le rôle central de la thématique du pouvoir d’achat se retrouve dans le titre même des lois, comme l’Inflation Reduction Act. Dans le même ordre d’idées, une série de lois et décrets Buy American ont été mises en œuvre pour mieux réguler les marchés publics fédéraux et que les projets d’infrastructure utilisent plus de matériaux produits aux États-Unis[2]. Bien que leurs effets économiques soient probablement faibles vu la taille de l’économie américaine, il faut considérer ces politiques comme des actes symboliques visant à renforcer la confiance du public dans l’engagement du gouvernement.
Un découplage ciblé avec la Chine : La politique industrielle américaine a enfin pour objectif de renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’atténuer les risques physiques, mais aussi de contrebalancer l’influence croissante de la Chine dans des secteurs technologiques critiques, tels que les semi-conducteurs, les télécommunications et l’intelligence artificielle. Les politiques commerciales sont le principal instrument utilisé.
- En ce qui concerne les importations, les États-Unis protègent leur industrie nationale des concurrents chinois : les droits de douane américains moyens s’élevant à près de 20 % pour les produits chinois, contre 3 % pour le reste du monde. En mai 2024, les États-Unis ont annoncé qu’ils quadrupleraient les droits de douane sur les véhicules électriques chinois pour les porter à 100 % et qu’ils doubleraient ceux sur les panneaux solaires et les semi-conducteurs à 50 %.
- En ce qui concerne les exportations, la série de restrictions imposées par les États-Unis à la Chine, notamment pour les semi-conducteurs et les puces d’intelligence artificielle, contribue à la préservation de la suprématie technologique américaine. Ces contrôles limitent la capacité de la Chine à rattraper son retard technologique et encouragent donc la production nationale en préservant l’avantage concurrentiel des entreprises américaines dans les technologies critiques.
Les choix stratégiques de la politique industrielle européenne
De son côté, la stratégie européenne repose moins sur les subventions que sur la réglementation et la planification, la sauvegarde des règles multilatérales. Elle cherche en définitive à préserver la sécurité économique européenne et à faciliter la transition environnementale.
Réglementation et planification : La stratégie industrielle de l’UE s’appuie sur les réglementations et les normes. C’est un des piliers du plan industriel du pacte vert introduit en 2023. Le Net-Zero Industry Act (NZIA) identifie une liste détaillée de plusieurs technologies stratégiques net-zéro et vise à promouvoir leur production dans l’UE. Les moyens pour y parvenir sont principalement d’ordre réglementaire, comme l’allègement de la charge administrative grâce à des règles simplifiées pour les permis de construire et des critères plus clairs pour les marchés publics, ou encore des « bacs à sable » réglementaires pour tester les technologies innovantes.
Le NZIA définit en outre des critères de sélection des projets stratégiques comme la contribution à la décarbonation pouvant bénéficier d’un soutien public similaire à celui des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC). Les règles relatives aux aides d’État pour ces projets ont été assouplies. Cette approche est plus planificatrice et permet à l’État de renforcer ses capacités d’orientation de l’économie. Les pays européens font aussi de nécessité vertu, la réglementation est souvent le seul recours étant donné que les règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance limitent la marge de manœuvre budgétaire des États membres pour intervenir par le biais de subventions à grande échelle.
Autonomie stratégique ouverte : La souveraineté économique, et en particulier l’accès aux matières premières, est une des autres pierres angulaires de la politique industrielle de l’UE. Elle passe par une analyse fine des intrants industriels nécessaires pour rendre les chaînes d’approvisionnement plus résilientes. Un premier rapport en 2021 a identifié 137 produits fortement dépendants de fournisseurs étrangers. La législation sur les matières premières critiques, adoptée en mars 2024, a fait évoluer cette analyse vers la définition d’une liste de matières premières critiques et stratégiques pour les technologies de la transition verte et numérique, de la défense et du spatial. L’UE souhaite extraire, transformer et recycler une part importante de ces matières au sein de l’Union d’ici 2030. Cette analyse détaillée nécessite également une forte implication de l’administration publique et s’aligne sur une vision plus planificatrice de l’État.
De plus, l’UE met en avant son ouverture commerciale. L’objectif est de diversifier les partenariats et les alliances internationales plutôt que de les limiter. Le développement d’accords de libre-échange et de coopérations est un élément crucial de cette stratégie. En outre, l’UE promeut un système commercial international efficace, fondé sur des règles et régi par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Transition verte et numérique : L’accompagnement des transition environnementales et numérique est le dernier pilier de la politique industrielle de l’UE. Le pacte vert cherche à faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone d’ici 2050. Cela passe par la mise en place d’objectifs de réduction des émissions juridiquement contraignants et la création du plus grand marché du carbone mondial grâce au système d’échange de quotas d’émission. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières vise à garantir que les biens importés respectent les mêmes normes environnementales que ceux produits au sein de l’UE et éviter les fuites de carbone. L’interdiction de la vente de nouvelles voitures thermiques d’ici à 2035 souligne de plus l’engagement de l’UE à utiliser son pouvoir réglementaire pour diriger le capital des industries polluantes vers des solutions plus écologiques. Cette stratégie reflète une vision de l’innovation plutôt pilotée par l’État et axée sur la sélection des technologies comme on l’a montré dans le cas du NZIA.
En ce qui concerne le numérique, l’UE cherche à rattraper son retard : comme le soulignait Mario Draghi, seuls quatre des 50 plus grands acteurs mondiaux de la technologie sont européens. Pour ce faire, elle doit notamment investir dans l’infrastructure de réseau, la cybersécurité et les compétences numériques. Le programme pour une Europe numérique alloue des fonds pour soutenir le développement et le déploiement des technologies numériques, notamment l’intelligence artificielle, les supercalculateurs et la blockchain. Par ailleurs, des cadres réglementaires, comme le Digital Services Act et le Digital Markets Act, tentent de promouvoir une concurrence loyale et non faussée et un environnement numérique sûr.
Analyse comparative
En s’appuyant sur la présentation de ces deux stratégies, la comparaison devient plus aisée. Les Etats-Unis et l’Europe se distinguent par les moyens financiers engagés, la fragmentation de leur marché intérieur, le rôle de l’État et leur approche de la sécurité économique (Tableau 1).
Tableau 1 – Résumé différences dans la stratégie industrielle
Source : illustration de l’auteur.
Moyens financiers : Il y a une grande différence dans les ressources financières mobilisées par les États-Unis et l’UE. Les États-Unis ont déployé des ressources publiques considérables par le biais de l’Infrastructure Investment and Jobs Act, du CHIPS Act et de l’IRA sous forme de subventions et d’allègements fiscaux pour les entreprises dont les montants ne sont souvent pas plafonnés. L’UE, à l’inverse, préfère s’appuyer sur la réglementation et un financement direct limité. La Commission européenne détaille les besoins d’investissement pour atteindre les objectifs de la NZIA (entre 90 et 140 milliards d’euros selon les scénarios), mais n’a injecté directement que 10 milliards d’euros supplémentaires dans le cadre de la plateforme Technologies stratégiques pour l’Europe.
Des deux côtés de l’Atlantique, le financement privé joue un rôle crucial dans la réalisation des objectifs de la politique industrielle. Si l’on reprend le concept de derisking forgé par Daniela Gabor. Les États-Unis sont principalement engagés dans du derisking budgétaire par le biais de subventions et d’allègements fiscaux, tandis que l’UE se concentre sur du derisking réglementaire. Du point de vue de la soutenabilité budgétaire, l’approche de l’UE est nettement plus prudente, mais elle peut s’avérer moins efficace pour mobiliser le capital privé.
La fragmentation du marché : Il existe une différence d’échelle décisive entre la stratégie des États-Unis et celle de l’UE. La politique industrielle américaine suit une stratégie à grande échelle visant à attirer des capacités de production à haute valeur ajoutée. En Europe, une telle stratégie globale n’existe pas. Comme l’a récemment affirmé Mario Draghi : « À l’échelle de l’Union, nous n’avons jamais eu d’Industrial Deal […] nous manquons toujours d’une stratégie globale sur la manière d’agir dans de nombreux secteurs ». De bien des façons, il ne s’agit pas que d’une coïncidence mais d’un choix délibéré des États membres qui ne veulent pas renoncer à leur souveraineté économique nationale. Dans son rapport sur le marché unique, Enrico Letta remarque par exemple que les secteurs de la finance, des communications électroniques et de l’énergie ont été intentionnellement exclus du processus d’intégration parce qu’ils étaient jugés trop stratégiques pour que leurs opérations et leurs réglementations soient régies au-delà des frontières nationales. Par conséquent, la majeure partie du financement de la stratégie industrielle de l’UE s’effectue au niveau national par le biais d’aides d’État, notamment sous la forme des PIIEC. De plus, les aides d’État substantielles restent réservées aux pays qui en ont les moyens. À elles seules, l’Allemagne et la France ont été à l’origine de 77 % des aides d’État depuis 2022, alors que les deux pays ne représentent qu’environ 40 % de la production économique de l’Union (voir aussi notre note comparative des politiques industrielles allemandes et françaises).
Le choix de l’UE de maintenir un contrôle national dans certains domaines stratégiques l’a conduite à être plus dépendante du système commercial international. L’UE a besoin de règles internationale équitables pour pacifier son marché intérieur. À l’inverse, les États-Unis bénéficient d’un marché intérieur robuste, unifié et expansif, ce qui les place en meilleure position dans une compétition globale où les dynamiques de pouvoir et les considérations politiques dépassent souvent les questions d’efficacité économique. Depuis l’administration Trump, les États-Unis n’hésitent pas à utiliser cette position préférentielle. Par exemple, ils violent activement les principes de l’OMC en faisant de l’utilisation de biens produits dans le pays une condition d’octroi des subventions. En outre, les États-Unis affaiblissent l’ordre commercial international fondé sur des règles en bloquant le fonctionnement de l’Organe d’appel de l’OMC et les négociations sur sa réforme institutionnelle.
Rôle de l’État : Les investissements à grande échelle du gouvernement américain peuvent rappeler à première vue le concept d’État entrepreneur de Mariana Mazzucato et l’idée d’État innovateur de Dani Rodrik. Mazzucato souligne le rôle de l’État dans la prise de risques et les investissements publiques stratégiques pour stimuler l’innovation, tandis que Rodrik insiste sur l’importance de l’État dans la promotion du progrès technologique. Toutefois, une différence décisive avec la stratégie américaine est que, bien que l’État fournisse des incitations financières substantielles et soutienne l’innovation du secteur privé, il n’en retire rien directement. Cela soulève la question des conséquences redistributives de cette stratégie comme des ressources publiques sont affectées à des gains privés et que des biens publics sont donc privatisés.
Dans l’UE, l’État participe plus activement à la sélection des technologies, que ce soit par le biais de réglementations ou de subventions dans le contexte des PIIEC ou des technologies stratégiques net-zéro. Les marchés sont poussés à se consolider en vue de créer des champions européens. Idéalement, les investissements publics dans ces projets phares stimulent l’innovation et créent des retombées positives pour d’autres entreprises et secteurs. Bien que cela corresponde également à un État entrepreneur à la Mazzucato, l’approche de l’UE n’est pas proactive et ne se concentre que sur un nombre limité de projets. Au lieu de diversifier les risques pris, l’UE ne se concentre que sur quelques initiatives, ce qui signifie que les échecs inévitables ne sont pas compensés. Par conséquent, cette stratégie prudente peut limiter le potentiel d’innovations de rupture et ne pas tirer pleinement parti des diverses possibilités offertes par le marché dans son ensemble.
La sécurité économique : La sécurité économique est au cœur de la stratégie de politique industrielle des États-Unis et de l’Union européenne. Toutefois, la compréhension de cette notion diffère largement. Aux États-Unis, la sécurité économique est étroitement liée à un découplage actif avec la Chine. Celui-ci est motivé par des inquiétudes concernant la primauté technologique et la souveraineté économique des États-Unis.
La conception européenne est plus défensive et vise à ne pas perdre l’accès aux matières premières critiques. Cette stratégie reconnaît les risques associés à une dépendance excessive à l’égard de certains pays pour des intrants essentiels, mais elle met davantage l’accent sur l’atténuation de ces risques par la diversification et des relations commerciales solides afin de développer d’autres sources de matières premières critiques. Par exemple, fin mai 2024, l’UE a signé un partenariat sur les minerais critiques et stratégiques durables avec l’Australie. Ces initiatives reflètent la préférence de l’UE pour le multilatéralisme et son engagement en faveur d’un ordre international fondé sur des règles.
Conclusion
Les stratégies industrielles des États-Unis et de l’Union européenne ont des objectifs différents : les Etats-Unis cherchent la primauté et l’Europe, la sécurité. La politique industrielle américaine se caractérise par des investissements substantiels dans les technologies de pointe et les capacités de production, comme le montrent l’IRA et le CHIPS Act. Dans une approche libre-marché de l’innovation, certains de ces investissements ne seront pas rentables, mais les gains réalisés dans d’autres domaines devraient les compenser et assurer le leadership technologique américain pour les prochaines années. Les politiques industrielles américaines visent non seulement à renforcer la compétitivité de son économie, mais aussi à remédier à ses vulnérabilités. En particulier, face à l’ascension technologique de la Chine, les États-Unis affirment leur intérêt stratégique à conserver un pas d’avance.
À l’inverse, l’approche de l’UE montre une préférence nette pour la sécurité. La priorité accordée à la prudence budgétaire, à l’accès aux matières premières critiques et à l’atténuation des effets du changement climatique en sont des signes. Dans la structure institutionnelle actuelle de l’UE, la prédominance des mesures défensives reflète les compromis politiques entre les États membres qui préfèrent garder leur souveraineté. L’UE tente enfin de tirer parti d’une puissance publique volontaire pour garantir que les avancées technologiques et économiques ne compromettent pas les objectifs sociétaux plus larges.
En fin de compte, ces divergences stratégiques reflètent des visions fondamentalement différentes du rôle de l’État, de la gestion des risques et de l’innovation. Une bonne compréhension des stratégies des uns et des autres permet tout de même d’apprendre de pratiques prometteuses et de les adapter. Toutefois, même si une politique fonctionne bien aux États-Unis, cela ne signifie pas que l’UE doit la copier directement. Dans un papier de mai 2024, Juhász et Lane soulignent que la politique industrielle doit tenir compte des réalités politiques propres à chacun des pays. Selon eux, il faut se méfier de l’imitation inconditionnelle des politiques des autres pays parce qu’elles sont l’héritage de situations politiques et économiques qui ne sont pas forcément reproductibles. La réflexion entamée par l’Institut aura pour but de mener à des recommandations ajustées aux contextes européens en prenant en compte les développements des politiques industrielles aux États-Unis et ailleurs, mais sans les copier aveuglément.
Jonas Kaiser
Image : John Sloan, The City from Greenwich Village, 1922, huile sur toile, 66 x 85,7 cm.
Notes
[1] Voir la note « Une mise en perspective historique du renouveau des politiques industrielles » de l’Institut pour plus de détails sur l’évolution du concept dans le débat académique.
[2] Les politiques Buy American font depuis longtemps partie de la législation américaine. Le Buy American Act de 1933 exige que les achats du gouvernement fédéral privilégient les produits fabriqués aux États-Unis. Ces dernières années, le pourcentage de contenu national requis a augmenté et les dérogations ont été réduites. En outre, le Build America, Buy America Act (qui fait partie de l’Infrastructure Investment and Jobs Act) a étendu les exigences de la loi Buy American Act de 1982 pour les projets d’infrastructure. Elle impose l’utilisation de fer, d’acier et de produits manufacturés américains dans les projets d’infrastructure de transport pour les infrastructures numériques et énergétiques.