La question de la dette climatique est plus pressante que jamais. Avec l’aggravation des impacts du changement climatique, la nécessité d’intégrer les dimensions environnementales et budgétaires devient cruciale. Notre rapport s’inscrit dans cette démarche en proposant une exploration approfondie du concept de dette climatique et de ses possibles utilisations.
Le rapport est le fruit des réunions d’un groupe de travail qui ont eu lieu entre janvier et mai 2024. Les auteurs ont bénéficié des commentaires et des remarques des membres du groupe, contribuant ainsi à l’approfondissement et à l’affinement des analyses présentées.
La dette climatique peut se comprendre comme :
« La traduction du retard accumulé sur nos engagements de réduction des émissions en un passif pouvant être utilisé dans un cadre comptable. »
L’objectif de ce rapport est double :
Fournir une définition claire et opérationnelle de la dette climatique
Explorer les implications pour la planification budgétaire et la politique environnementale
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La dette climatique en France s’élève à :
ou
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Les 6 recommandations du rapport :
La comparaison entre les dettes climatiques et financières n’est pas forcément possible, la dette climatique est avant tout une dette biophysique et le choix de lui associer un indicateur monétaire relève donc d’une convention sociale, même si ce choix peut être informé par l’utilisation de modèles économiques qui apparentent la dette climatique à une dette d’investissements pour arriver à la neutralité carbone. Sa conversion en unité monétaire invite toutefois à considérer les dettes financières et climatiques de concert. Avantager la réduction de la dette financière à court terme peut avoir un bénéfice en termes de soutenabilité budgétaire, mais se révéler négatif en termes de soutenabilité environnementale, comme le montre la comparaison des scénarios NGFS -Net zéro et NGFS – Transition retardée.
Une mesure de la dette climatique d’investissement en 2030, 2040 et 2050 devrait accompagner la publication des scénarios « avec mesures existantes » par la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC). Les prévisionnistes de la DGEC seraient chargés du calcul de celle-ci et du choix des paramètres à privilégier. La mesure de la dette climatique devrait évoluer au moment de la publication de la SNBC.
L’article 9 de la LPFP 2024 prévoit la transmission par le gouvernement au Parlement d’une stratégie pluriannuelle qui définit les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale. Cette stratégie doit inclure la mesure de la dette climatique faite par la DGEC afin de permettre son appropriation par les parlementaires. Mais cet indicateur doit aussi pouvoir être publié régulièrement, et discuté, pour qu’il infuse dans le débat démocratique. La publication des indicateurs de dettes climatiques pourrait aussi s’intégrer dans le rapport prévu par la loi Eva Sas, promulguée le 14 avril 2015 qui donnait obligation au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport présentant l’évolution de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable.
Cela pourrait notamment commencer par le développement d’une comptabilité carbone et environnementale dans les municipalités et les entreprises en vue de fournir des estimations fiables et détaillées des dettes climatiques individuelles. L’article 191 de la loi de finances pour 2024 prévoit justement que les municipalités annexent dorénavant un « budget vert » à leurs documents budgétaires. Cantonné pour l’instant à un étiquetage de dépenses « vertes » ou « brunes », celui-ci pourrait éventuellement être renforcé par une mesure de dettes écologiques et climatiques.
La généralisation de l’utilisation de la dette climatique et de la comptabilité environnementale appelle à la création de nouveaux modèles et processus permettant d’institutionnaliser la prise en compte des enjeux environnementaux dans les décisions économiques, comme la création d’une caisse d’amortissement de la dette climatique. En particulier, il est possible d’articuler la dette climatique avec d’autres indicateurs permettant d’approcher et de suivre une certaine vision du bien-être. Nous invitons les chercheurs et personnalités qualifiés à s’emparer de ce concept pour en imaginer les utilisations possibles.
Calculer la dette climatique des États membres de l’Union européenne permettrait de mieux envisager les responsabilités respectives dans le cadre de la transition environnementale et serait supérieur aux cibles de réduction définies jusqu’ici par État. Ce calcul a du sens, car les trajectoires de réduction d’émissions sont définies au niveau européen. Cela aurait aussi l’avantage de contribuer à résoudre plusieurs débats qui subsistent encore au niveau européen relativement notamment à la trajectoire de réduction des émissions et à la répartition des efforts. Finalement, la dette climatique peut enrichir les travaux européens et de l’ONU (SEEA) sur la comptabilité environnementale, en complétant les comptes d’émissions (et plus largement les comptes biophysiques) par des indicateurs monétaires, encore manquants.
Les chapitres du rapport :
Chapitre 1 - Définition
Un passif est un devoir impliquant un possible sacrifice de ressources dans le futur. La dette climatique suppose l’existence d’un fait générateur de ce devoir, l’existence d’au moins un débiteur et un créancier, mais aussi le remboursement d’un principal dans une temporalité donnée et avec une valeur monétaire bien identifiée. Ce premier chapitre discute chacun de ces éléments pour montrer leur importance dans l’interprétation que l’on fait de la dette climatique.
Chapitre 2 - Application
La dette climatique a de nombreuses applications potentielles dans l’élaboration des politiques de lutte contre le changement climatique. Les applications les plus prometteuses et innovantes : 1) En tant qu’outil comptable, la dette climatique donne une mesure concrète de l'impact financier de l’inaction passée et des efforts actuels en matière d'atténuation du changement climatique. 2) En tant qu’outil de planification et de budgétisation, la dette climatique permet de comparer la trajectoire des émissions actuelles par rapport à une trajectoire idéale et de quantifier les efforts supplémentaires nécessaires pour rejoindre celle-ci.
Chapitre 3 - Mesure
Nous proposons une mesure de la dette climatique en tant que dette d'investissement. Pour mesurer la dette climatique, deux éléments sont nécessaires : une trajectoire de décarbonation idéale qui donne un budget carbone pour chaque année, et une chronique d'émissions de CO2. En outre, une estimation du coût du carbone est nécessaire pour quantifier l’écart par rapport à ce scénario idéal en termes monétaires.
Chapitre 4 - Recommendations
L’utilisation de la dette climatique en tant qu’indicateur invite à prendre en compte le long terme et notamment l’impact de nos actions sur le réchauffement climatique. Si ce rapport n’avait pas vocation à être exhaustif, il fait tout de même un certain nombre de recommandations pour répandre son utilisation.
À propos des auteurs
Cyprien Batut est économiste sénior à l’Institut Avant-garde. Il est diplômé de l’École d’Économie de Paris et docteur en économie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Il s’intéresse principalement aux politiques publiques françaises sur le marché du travail. Après sa thèse, il a rejoint la Direction Générale du Trésor notamment en tant que Conseiller en charge de la politique économique au sein du cabinet du directeur général du Trésor.
Jonas Kaiser est chargé d’études à l’Institut Avant-garde. Il est diplômé de Sciences Po Paris en politique économique internationale. Sur le plan académique, il s’intéresse à la dette publique et aux politiques budgétaires en France, Allemagne et Europe. Il est également bénévole chez FiscalFuture, une organisation du European Macro Policy Network qui vise à promouvoir des politiques économiques et financières adaptées aux enjeux futurs.
Clément Surun est consultant senior biodiversité à I Care et docteur en Science Economique du Centre International de Recherche et Développement (CIRED). Sa thèse portait sur la comptabilité des dettes écologiques nationales et d’entreprises et a été récompensée en 2024 par le Ministère de la Transition écologique.
À propos des membres du groupe de travail
Louis Daumas est post-doctorant au Politecnico di Milano et au RFF-CMCC EIEE au sein de l’équipe ERC EUNICE. Ses recherches portent sur les liens entre la transition écologique et la modélisation macroéconomique, l’instabilité financière, l’incertitude et l’économie politique, le tout lié à la transition écologique.
Thomas Kekenbosch est doctorant à l’EHESS. Sa thèse porte sur l’histoire économique des politiques environnementales. Il a reçu le Prix de la Fondation Jean-Jaurès en 2019 pour son mémoire sur la Commission du Bilan de 1981.
Clara Leonard est co-fondatrice et directrice générale de l’Institut Avant-garde. Docteure en économie après une thèse sur l’histoire des doctrines de la dette publique française sous la direction d’Annie Cot et d’Éric Monnet, elle est également diplômée d’HEC Paris, de la Sorbonne et de la London School of Economics. Elle a travaillé à la Direction Générale du Trésor sur les questions européennes.
Paul Malliet est diplômé de l’École d’Économie de Toulouse et docteur en économie de l’Université Paris Nanterre. Il est économiste senior au sein du département Économie et Environnement à l’OFCE où il participe depuis plus de 10 ans au développement du modèle macroéconomique d’évaluation économique des politiques bas-carbone ThreeME.
Aude Pommeret est professeur en science économique à l’Université Savoie Mont Blanc. Elle est par ailleurs conseiller scientifique à France Stratégie, membre du conseil scientifique des méthodes d’analyse socio-économique, du bureau de l’Institut des mathématiques pour la planète terre, et de la CNE2. Ses recherches portent principalement sur l’économie de l’environnement et de l’énergie.