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ReArm Europe : quels financements pour la défense européenne ?

ReArm Europe a pour objectif de mobiliser environ 800 milliards d’euros pour permettre à l’Europe de faire face aux défis sécuritaires croissants. Il repose sur l’introduction d’une nouvelle flexibilité dans les règles budgétaires et des prêts européens pour financer des achats communs d’armement. Toutefois, il exclut des sources de financement comme la dette commune européenne ou l’utilisation des avoirs russes gelés. Bien que constituant une avancée, ce plan reste une solution à court terme, et une stratégie européenne plus coordonnée et durable est nécessaire pour assurer une dissuasion conventionnelle crédible à long terme.

Avec l’évolution du contexte international, l’Europe est confrontée au défi de bâtir une dissuasion conventionnelle crédible – un effort à la fois complexe et coûteux.

Un récent rapport de Bruegel et du Kiel Institute estime que si les États-Unis se désengageaient de leurs engagements sécuritaires en Europe, les pays européens devraient recruter 300 000 soldats supplémentaires et augmenter leurs dépenses de défense de 2 % à 3,5 % du PIB par an pour garantir leur propre protection. Après des décennies de sous-investissement, les États membres de l’Union européenne (UE) doivent mobiliser les ressources financières nécessaires afin de moderniser leurs capacités de défense.

Qu’est-ce que ReArm Europe ?

Pour garantir le financement d’une défense européenne, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a dévoilé le 6 mars le plan « ReArm Europe ». Cette initiative de 800 milliards d’euros repose sur deux piliers principaux :

  • Une flexibilité des règles budgétaires : la Commission propose que les États membres activent la clause dérogatoire nationale du Pacte de stabilité et de croissance. Cela leur permettrait d’augmenter leurs dépenses militaires sans déclencher de procédure concernant les déficits excessifs. Si tous les pays augmentaient leurs dépenses de 1,5 % du PIB, 650 milliards d’euros pourraient être mobilisés en quatre ans.
  • Des prêts européens pour des achats en commun : la Commission prévoit d’emprunter 150 milliards d’euros et de les prêter aux États membres, sous condition qu’ils procèdent à des achats conjoints d’armes en Europe. Cette approche permettrait à certains États membres de bénéficier de coûts d’emprunt plus faibles.

En outre, ReArm Europe prévoit la possibilité pour les États membres d’utiliser les 340 milliards d’euros de fonds de cohésion non dépensés du budget pluriannuel européen pour financer des projets de défense. Pour mobiliser les capitaux privés, le mandat de la Banque Européenne d’Investissement devrait aussi être élargi pour y inclure le financement de projets de défense.

Bien que certaines questions restent en suspens, davantage de détails seront révélés le 19 mars, lorsque la Commission publiera son Livre blanc sur la défense, en amont du sommet européen des 20 et 21 mars.

Ce qui ne figure pas dans ReArm Europe

Bien que le plan propose des options de financement importantes, plusieurs sources de financement pourtant clés sont absentes :

  • La dette commune européenne : contrairement au programme NextGenerationEU, qui incluait des subventions financées par une dette commune de l’UE, ReArm Europe ne prévoit pas d’instrument similaire. La France, l’Italie, l’Espagne et la Grèce se sont dites favorables à une telle option.
  • Les avoirs russes gelés : ReArm Europe ne mentionne pas l’utilisation potentielle des 250 milliards d’euros des avoirs gelés de la banque centrale russe et d’acteurs privés russes, un sujet récemment débattu à l’Assemblée nationale.
  • Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) : le plan ne prévoit pas de réaffecter les fonds du MES pour financer les investissements de défense des pays de la zone euro, le MES étant  une institution financière intergouvernementale créée en tant que fonds de sauvetage lors de la crise de la zone euro, qui dispose pourtant d’une capacité de prêt de plus de 400 milliards d’euros.

Que faut-il en penser ?

Le plan ReArm Europe constitue une avancée importante dans la reconnaissance des défis sécuritaires urgents auxquels l’UE est confrontée. Il envoie le message que les règles budgétaires ne doivent pas faire obstacle au financement des capacités de défense nécessaires. Mais il reflète surtout ce qui est actuellement politiquement possible en Europe à court terme : un financement au niveau national pour des compétences nationales et des mesures nécessitant une prise de décision par majorité qualifiée au Conseil Européen, sans nécessiter d’unanimité. Toutefois, le véritable enjeu est de répondre à l’urgence sécuritaire tout en garantissant une coordination efficace des efforts de chacun à long terme.

Dans ce contexte, il est important de différencier le besoin immédiat de financement du soutien à l’Ukraine et le besoin à plus long terme d’une stratégie durable pour construire une dissuasion conventionnelle crédible en Europe. L’aide militaire des États-Unis à l’Ukraine s’est élevée à 20 milliards d’euros en 2024 : d’un point de vue macroéconomique, l’UE peut se permettre de compenser ce retrait, ce montant ne représentant qu’environ 0,1 % du PIB européen.

La situation est bien différente concernant le renforcement des capacités de défense européennes. L’utilisation de la clause dérogatoire nationale dans les règles budgétaires pose deux problèmes majeurs. Tout d’abord, l’incitation à orienter ces marges budgétaires supplémentaires vers des projets de défense communs reste limitée. Des pays comme la France, qui avaient déjà prévu une augmentation de leurs dépenses militaires, pourraient en théorie utiliser l’espace budgétaire supplémentaire pour d’autres priorités politiques. Ensuite, comme l’ont souligné Guttenberg et Redeker, les exemptions liées à cette clause sont accordées ad hoc et uniquement pour des périodes renouvelables d’un an, ce qui les rend inadaptées à une planification de long terme.

Concernant l’emprunt de 150 milliards d’euros de la Commission, cet instrument rappelle fortement le mécanisme SURE mis en place au début de la pandémie. Dans un second temps, il évoluera peut-être nécessairement vers une véritable solution européenne, à l’image de NextGenerationEU. Mais la menace russe n’est pas la crise du COVID, le soutien financier n’a pas besoin d’être débloqué en quelques jours, et il reste un certain temps pour discuter de solutions plus fondamentales afin de construire une stratégie fiable sur le long terme.

L’une de ces options pourrait être l’émission d’une dette européenne dédiée aux projets de défense communs. Le financement par la dette peut être pertinent dans un premier temps pour combler les lacunes d’investissement significatives. À moyen terme, cependant, ces dépenses devraient être intégrées au budget européen. Un financement au niveau de l’UE permettrait une meilleure coordination et allocation des ressources. De plus, comme le rappelle Olivier Blanchard, en l’état des traités, une dette européenne ne peut pas être renouvelée indéfiniment et doit donc être remboursée à échéance. De nouvelles ressources propres devront donc être mises en place afin de financer ces coûts après cette impulsion initiale. Néanmoins, une telle approche nécessiterait que ces fonds soient véritablement consacrés à des priorités communes et non à une simple redistribution de marges budgétaires nationales. Elle impliquerait également que les États membres acceptent de céder une partie de leur souveraineté en matière d’investissements de défense à un mécanisme de prise de décision conjoint, comme le souligne Nils Redeker du Centre Jacques Delors.

La dimension politique d’une telle dette de défense est complexe, mais le débat est nécessaire et implique d’aller plus loin que la simple affirmation de la volonté d’augmenter nos dépenses de défense. Dans ce cadre, l’UE doit commencer par tirer les leçons des règles budgétaires et éviter de déléguer les conflits politiques à un ensemble technocratique complexe. Ce dont la situation a besoin, c’est d’une vision politique pour une stratégie de défense à long terme, et non d’une nouvelle ingénierie financière.

Jonas Kaiser et Cyprien Batut

Image : Otto Dix, Sonnenaufgang, 1913, Stadtmuseum de Dresde

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