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Simone Vannuccini: pas d’autonomie stratégique sans autonomie fiscale

Simone Vannuccini est titulaire de la chaire d’Économie de l’Intelligence Artificielle et de l’Innovation à l’Université Côte d’Azur. Il a récemment co-écrit un article intitulé “How to institutionalise European industrial policy (for strategic autonomy and the green transition)” avec Olimpia Fontana[1]. Le 19 septembre, lors de la conférence « European Industrial Policy in the New Global Context », organisée par l’Université Sapienza de Rome et l’université Luiss Guido Carli, il a souligné la nécessité d’une politique industrielle solide et véritablement européenne, en particulier à la lumière de la rivalité mondiale croissante entre les grands blocs géopolitiques.

Le contexte actuel : défis et opportunités

Vannuccini a commencé son intervention en rappellant les changements importants intervenus récemment dans le paysage mondial et pourquoi ils exigeaient une évolution de la politique industrielle européenne :

    • Rivalités mondiales croissantes : L’essor de nouvelles puissances mondiales comme la Chine et l’Inde ainsi que l’intensification des tensions géopolitiques nécessitent une approche plus stratégique du développement industriel. Vannuccini met en garde contre les dangers d’une approche du « chacun pour soi » dictée par des priorités nationalistes, soulignant au contraire la nécessité d’une coopération et d’alliances stratégiques en Europe.
    • Défis mondiaux : Des problèmes tels que le changement climatique, les pandémies et les bouleversements technologiques exigent une réponse coordonnée et proactive. Pour relever efficacement ces défis, il faut une collaboration et une mise en commun des ressources à l’échelle du continent.
    • Dépendance et vulnérabilités : La pandémie de COVID-19 a mis en évidence la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales et la dépendance des économies occidentales à l’égard d’un nombre limité de fournisseurs. Vannuccini affirme que la diversification des sources d’approvisionnement et la limitation de la dépendance des pays européens à certaines technologies sont essentielles pour garantir la sécurité et la résilience économiques du continent.

Tensions et défis liés à la mise en œuvre d’une politique industrielle européenne

Vannuccini reconnaît toutefois les défis inhérents à la création d’une véritable politique industrielle européenne, en particulier dans le cadre actuel de l’Union européenne :

    • Le rôle de l’État dans l’économie : L’intégration de la politique industrielle nécessite d’accepter un rôle plus proactif de l’État dans l’orientation du développement économique. Cela soulève des inquiétudes quant aux distorsions potentielles du marché et au risque que des politiques nationalistes soient menées sous le couvert d’intérêts européens.
    • Aides d’État contre principes du marché unique : L’UE est confrontée à une tension fondamentale entre la nécessité de soutenir les champions nationaux et l’engagement en faveur de conditions de concurrence équitables au sein du marché unique. Il est essentiel de trouver un équilibre entre ces objectifs contradictoires pour garantir une concurrence loyale tout en encourageant la croissance des industries européennes.

Vers une véritable politique industrielle européenne : des propositions concrètes

Pour relever ces défis et parvenir à une véritable politique industrielle européenne, Vannuccini propose donc une approche en deux volets.

D’abord, transformer les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC). Vannuccini propose de faire des PIIEC un outil purement européen plutôt qu’une agrégation d’intérêts nationaux. Cela impliquerait d’accroître le financement de l’UE pour ces projets et de simplifier le processus d’approbation afin de garantir une approche plus stratégique et coordonnée.

Ensuite, créer un fonds souverain européen et lui donner des moyens. Vannuccini suggère de créer un grand fonds de tutelle pour gérer les programmes de l’UE tels qu’InvestEU et STEP. Ce fonds nécessiterait des ressources supplémentaires importantes et fonctionnerait dans une logique de plus long terme. Vannuccini envisage ce fonds comme une branche de la Commission européenne ou comme une agence indépendante habilitée à émettre des obligations. Il suggère d’utiliser la disposition d’urgence de l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui a été utilisée pour le fonds de relance NextGenerationEU (NGEU), afin de fournir une base juridique aux opérations du fonds.

La nécessité d’une autonomie budgétaire

Vannuccini souligne, et c’etait le coeur de son intervention, que la réalisation d’une autonomie stratégique européenne, en particulier dans les domaines de la technologie et des chaînes d’approvisionnement, passe par une autonomie budgétaire de l’UE. Il affirme que l’Union a besoin de ses propres ressources pour réaliser les investissements nécessaires et que cela nécessitera des États membres qu’ils cèdent un certain degré de souveraineté au niveau européen.

Il établit ainsi des parallèles entre la situation actuelle et les débats des années 1970, et en particulier avec les idées d’Altiero Spinelli, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne, qui proposait la création d’entreprises publiques européennes pour financer des projets risqués. Il souligne également la pertinence du rapport du Club de Rome intitulé « Limits to Growth »[2], qui mettait dès les années 80 l’accent sur la nécessité d’une coopération mondiale pour relever les défis communs.

Selon lui, la mise en place d’une véritable politique industrielle européenne est essentielle pour naviguer dans le paysage géopolitique actuel et assurer l’avenir de l’UE. Il suggère qu’en tirant les leçons des expériences passées, en adoptant une approche plus supranationale et en s’attaquant à la question cruciale de l’autonomie budgétaire, l’UE peut se positionner comme un leader de l’économie mondiale et relever efficacement les défis du XXIe siècle.

Image : Salvador Dali, Réminiscence archéologique de l' »Angélus » de Millet, 1934; Huile sur toile. 

Notes :

[1] Fontana, O., & Vannuccini, S. (2024). How to institutionalise European industrial policy (for strategic autonomy and the green transition). Luiss Institute for European Analysis and Policy.

[2] Meadows, D. H., Meadows, D. L., Randers, J., & Behrens, W. W. (2018). The limits to growth. In Green planet blues (pp. 25-29). Routledge.

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