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Synthèse générale du rapport sur la transition et le marché du travail

Les politiques de transition environnementale sur le marché du travail ont un coût pour les individus et les régions dont l’activité dépend des secteurs carbonés. La poursuite de nos objectifs de décarbonation implique une réorganisation radicale des infrastructures et de l’allocation du capital en une trentaine d’années. Les politiques environnementales permettent ce mouvement en augmentant les coûts relatifs de production des activités carbonées, mais ceux-ci ne seront pas uniquement supportés par les producteurs. Ils le sont aussi par leurs salariés et les régions qui dépendent de leur travail.

Si les bénéfices sociaux de la transition sont indéniables, ils sont diffus alors que les coûts, eux, sont concentrés et bien identifiés par les premiers concernés. Les coûts des politiques de transitions sur le marché du travail risquent de servir de base à un mouvement de résistance à ces politiques, à l’instar des Gilets jaunes en France ou bien le mouvement populo-rural BBB aux Pays-Bas. Rodriguez-Pose & Bartalucci (2023) [1] classe les régions européennes en fonction de leur vulnérabilité aux politiques de transition. Il se base sur l’intensité carbone des emplois, l’importance de l’extraction d’énergie fossile, le poids de l’agriculture, de l’industrie lourde, du tourisme, la composition du mix énergétique, etc. Cette vulnérabilité est inégalement répartie entre pays et régions, mais aussi est fortement corrélée au revenu. S’il y a une discordance géographique entre les opportunités créées par la transition et là où les coûts sont concentrés, les politiques de transition risquent donc de renforcer les inégalités géographiques en Europe tout en semant les graines de leur propre opposition.

L’accompagnement et la redistribution de ces coûts sur le marché du travail sont cruciaux pour renforcer l’acceptabilité des politiques de transition, c’est ce à quoi s’intéresse ce rapport. Les précédentes transformations structurelles de l’économie ont été les plus souvent accompagnées par l’État, notamment après la Seconde Guerre mondiale, à travers la mise en place d’institutions spécifiques qui subsistent encore aujourd’hui, comme une assurance chômage publique. Cependant, celles-ci ont des limites dans le contexte d’une société riche, désindustrialisée et plus complexe que pendant les Trente Glorieuses.

Ce rapport comprend trois chapitres qui abordent successivement les effets de la transition et du changement climatique sur le marché du travail, comment se distinguent les emplois bruns des autres et enfin les politiques d’accompagnement possibles aujourd’hui.

1. Transition environnementale et marché du travail

Sur le marché du travail, la transition est une équation avec trois inconnues : son coût en termes de croissance, l’ampleur des réallocations de main-d’œuvre nécessaires et les conséquences du changement climatique sur les conditions de travail. La plupart des estimations prévoient que les politiques de transition auront un impact négatif sur la croissance, ce ralentissement pourrait alors avoir un impact sur l’emploi en retour. Au-delà de celui-ci, les réallocations intrasectorielles entre les entreprises en fonction de leur efficience énergétique et entre secteurs bruns et verts seront situés dans des segments marginaux, mais tout de même significatifs, du marché du travail concentrant les émissions carbone : environ 6 % des emplois concentrent 70 % des émissions en France en 2022. Pour finir, le changement climatique lui-même risque d’affecter les conditions de travail, principalement à travers les changements de température qui pourraient avoir un effet sur le bien-être au travail et la productivité.

Les modèles macro-environnementaux concourent pour prédire un effet net faible sur l’emploi de la transition environnementale. La plupart de ces modèles envisagent même une création nette d’emplois, de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’emplois en France d’ici 2050. Ces résultats sont toutefois la conséquence d’une modélisation qui assimile la transition soit à un choc d’investissement keynésien soit à la mise en place d’une taxe carbone qui serait redistribuée sous diverses formes. Par ailleurs, s’ils sont rassurants, ces résultats ne permettent pas de juger au mieux de la possible déconnexion temporelle et géographique entre les créations et les destructions d’emplois : les perdants de la transition n’en seront peut-être pas les premiers bénéficiaires.

Les travaux empiriques s’intéressant aux effets des politiques environnementales passées sont moins positifs et mettent en évidence de possibles destructions d’emploi. Les politiques environnementales qui régulent les émissions polluantes ou bien qui leur donnent un prix sont le plus souvent accompagnées par des pertes d’emploi et de revenus pour les travailleurs des secteurs les plus polluants. Mais les politiques industrielles vertes, comme les subventions à la rénovation, sont évidemment également susceptibles de créer des emplois. Ces estimations microéconomiques sont limitées, car elles ne permettent pas en général d’estimer les effets de bouclage des politiques environnementales. Elles permettent d’en identifier les victimes, mais pas ceux qui finiront par en profiter à court terme du fait de la relocalisation de l’activité ni à plus long terme du fait de l’atténuation du changement climatique. Toutefois, elles mettent en valeur le coût de la transition pour les travailleurs des secteurs bruns.

2. Qu’est-ce qui distingue les emplois bruns des autres ?

On dit souvent que les emplois des activités polluantes sont « bruns », mais il y a plusieurs façons de les identifier. On peut d’abord s’intéresser aux emplois polluants du fait du processus de production dans lesquels ils s’insèrent, mais doit-on alors considérer qu’un informaticien chez Total est plus polluant qu’un informaticien pour une ONG environnementale ? On peut sinon s’intéresser plutôt aux contenus des emplois et des tâches effectuées ou bien à l’empreinte carbone des biens produits. Dans ce rapport, nous définissons le plus souvent les travailleurs bruns en fonction des émissions de leurs employeurs, car ils sont les premiers touchés par les politiques environnementales qui renchérissent les coûts de production.

On note d’abord que les emplois bruns sont concentrés dans des zones plus rurales que la moyenne et ne sont pas répartis de façon homogène sur le territoire européen. L’histoire du XIXe siècle, la nécessité pour de nombreuses activités industrielles d’être proche de sources d’énergie carbonée comme le charbon et les effets d’agglomération ont participé à concentrer les activités polluantes dans certaines régions et en dehors des plus grandes agglomérations. La désindustrialisation observée depuis les années 80 ne semble pas avoir changé cette relation.

Les emplois bruns sont mieux payés que la moyenne et demandent des compétences spécifiques. À partir des données des enquêtes emploi européennes, on observe que les emplois dans les secteurs les plus polluants sont mieux payés que la moyenne, y compris à caractéristiques égales : environ 15 % de plus en France. Par ailleurs, les données les plus complètes montrent que les emplois bruns sont plus techniques que la moyenne, mais sont moins exigeants quant aux autres compétences pouvant être valorisées sur le marché du travail, comme les relations avec la clientèle.

Enfin, ils sont occupés le plus souvent par des hommes, légèrement plus âgés que la moyenne. Les emplois bruns comptent trois hommes pour une femme, ils sont en moyenne âgés de deux ans de plus et plus nombreux à ne pas avoir de diplôme du supérieur.

L’ensemble de ces caractéristiques participent à rendre la perte d’un emploi brun plus coûteuse que la moyenne. La concentration spatiale des emplois signifie que l’ensemble du marché du travail local risque d’être déprimé et que retrouver un emploi sera alors plus difficile, en particulier à un salaire équivalent et si les compétences qui étaient valorisées dans cet emploi ne le sont plus.

3. Mieux accompagner la transition sur le marché du travail

De nombreuses politiques d’accompagnement existent déjà dans les pays développés, mais elles sont moins efficaces pour accompagner les pertes d’emploi liées à la transition environnementale. En particulier, ces dispositifs ne permettent pas de redynamiser les marchés du travail locaux désavantagés par les politiques environnementales ni d’amèner les travailleurs bruns à retrouver un niveau de salaire équivalent.

Pour répondre au défi de la transition, nous défendons la mise en place d’une assurance salariale au niveau européen. Une assurance salariale vient compléter l’assurance chômage en compensant les salariés qui ont un salaire plus faible que celui qu’ils avaient auparavant quand ils retrouvent un emploi. Elle permettrait donc aux travailleurs bruns de retrouver un salaire équivalent et les pousserait à rester moins longtemps au chômage et faciliter ainsi leur réallocation. Son coût net resterait limité si elle amnène les salariés à retrouver un emploi plus rapidement. 

Pour mieux aider les zones les plus affectées par la transition, nous recommandons également le renforcement de politiques locales de soutien. Ces politiques ont un rôle important à jouer pour accompagner les chocs économiques sur le marché du travail quand la mobilité du marché du travail est limitée. En France, cela pourrait passer par une adaptation du dispositif France ruralités revitalisation en le liant plus explicitement à la transition et par une augmentation des investissements dans les infrastructures permettant aux marchés de travail locaux de tirer la meilleure partie de la transition environnementale.

Enfin, un bon accompagnement passe évidemment par des politiques de formation et d’activation permettant d’encourager les changements de carrière. Il faut privilégier les programmes de formation avec un faible coût d’opportunité, soit parce qu’ils sont courts ou qu’ils se font sur le lieu de travail, et les cibler vers les travailleurs les plus jeunes. Ils ne doivent pas former uniquement aux emplois dits « verts », mais cibler l’ensemble des métiers en tension où sont les gisements d’emplois. Idéalement, ces programmes orienteront les travailleurs bruns vers des emplois proches de chez eux.

Ce rapport se concentre sur l’accompagnement de transition, mais celui-ci sera d’autant plus facile s’il se fait en même temps qu’une montée en gamme du marché du travail français. Depuis le début des années 2000, la France a peu à peu perdu ses avantages comparatifs à produire des biens verts à haute complexité, en partie à cause d’une spécialisation d’une partie du marché du travail français dans des activités à plus faible valeur ajoutée. Nous avons donc aussi besoin des politiques de nature différente pour transformer plus profondément la structure de l’économie française pour tirer la meilleure partie de la transition. Parmi celles-ci, des politiques qui auraient pour but moins d’augmenter encore la quantité d’emploi dans l’économie, mais leur qualité et leur productivité.

Cyprien Batut et Jonas Kaiser

Image : Umberto Boccioni, Il Mattino, 1909, huile sur toile, 60×55 cm. Collection Mazzotta.

Notes

[1] Rodríguez-Pose, A., & Bartalucci, F. (2023). The green transition and its potential territorial discontents. Cambridge Journal of Regions, Economy and Society.

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